Loi santé : historique d’une idéologie

Jerome Marty

La loi de modernisation de la Santé n’est que la suite logique des réformes précédentes qui lentement ont construit son avènement. Ainsi on peut dire que la loi de modernisation de la Santé n’est que le sommet de la fusée.

* Premier étage de la fusée : la ROSP, Rémunération sur Objectif de Santé Publique, ex Paiement à la Performance (le mot performance était sans doute un peu « too much » et traduisant trop le risque de dérive tel que connu pour la T2A ; le nom fut donc changé pour « objectif de santé publique » plus consensuel). Dans ce système, le médecin remplit des indicateurs définis pour partie par l’assurance maladie, obtient un score et une rétribution forfaitaire dont la hauteur dépend du nombre d’indicateurs respectés et de la qualité de sa pratique au sein du champ défini. La ROSP introduit donc une modification du rôle de l’assurance maladie qui d’assureur devient organisateur du soin (elle ne finance pas encore le médecin, mais cela viendra…). Les complémentaires, déjà, demandent de financer un certain nombre d’indicateurs, non parce qu’elles se sentent soudain une âme de bienfaiteur du système sanitaire, mais parce que ce faisant, elles augmentent leur rôle et de fait leur puissance au sein du système.

* Deuxième étage de la fusée : l’avenant 8. Aboutissement de la vindicte lancée par Marisol Touraine en 2012 contre ce qu’elle appelait les « dépassements » d’honoraires, que nous appelons Honoraires complémentaires. L’avenant 8 définit une borne de dépassement de 150 % au-delà de laquelle le médecin est désigné en « pratique tarifaire excessive » et de fait susceptible d’être traduit devant un tribunal composé de représentants des signataires de l’avenant et d’administratifs de l’assurance maladie, sans possibilité d’accès aux pièces du dossier ni avocat (nous appellerons cela des tribunaux d’exception). Dans l’avenant 8 également, apparaît la rémunération forfaitaire pour la prise en charge des personnes âgées de plus de 85 ans (5 euros de plus que le tarif opposable) puis des plus de 80 ans, cette rémunération forfaitaire serait prise en charge par les complémentaires…A leur demande…Selon le même principe que précédemment, les complémentaires augmentent le pourcentage de remboursement dont elles sont responsables.

* Cette volonté prend tout son sens avec le troisième étage de la fusée. Au sein de l’avenant 8, apparaît le Contrat d’Accès aux Soins, le fameux CAS, qui permet aux signataires S2 de bénéficier de la prise en charge de leurs cotisations sociales comme en secteur 1 contre l’engagement de baisser la part de leurs honoraires complémentaires chaque année et de respecter la moyenne régionale des compléments d’honoraires de leur lieu d’exercice et de ne pas dépasser 100 % de dépassement (taux régressif d’année en année). Le contrat d’accès aux soins est accompagné d’une modification des contrats responsables, contrats à fiscalité avantageuse dont bénéficient les complémentaires dans un cadre défini contractuellement. La prise en charge des remboursements des compléments d’honoraires des signataires du CAS est dans les contrats responsables ! Les complémentaires voient donc baisser leur fiscalité, diminuer leurs remboursements (exit le secteur 2) et maintiennent leurs tarifs de cotisations ! Le patient qui veut consulter un médecin en S2 doit cotiser pour une surcomplémentaire. Effet social des lois d’approche de la loi de modernisation de la Santé. Le premier réseau de soins médical avec remboursement différencié vient de naître, il va prendre tout son sens avec le 3e étage de la fusée.

*Quatrième étage de la fusée, la PPL296 Leroux dite loi sur les réseaux, portée par 8 rapporteurs dont trois sont ou ont été soit administrateurs, soit directeurs de mutuelle. Celle loi permet aux mutuelles de bénéficier du même régime et des mêmes droits que le système assurantiel et ainsi de mettre en place des réseaux de soins (ce qu’elles faisaient illégalement depuis des années en dentaire et en optique exemple : MGEN). En quelque sorte, la loi permet de légaliser une pratique illégale. La médecine, suite aux manifestations de 2012, est écartée des réseaux de soins parce qu’à remboursement sécurité sociale majoritaire…Tout l’intérêt des mutuelles qui demandent à cors et à cris que la médecine soit incluse dans les réseaux de soins est donc d’augmenter leur part de remboursement ; les CAS, l’avenant 8, la ROSP, prennent tout leur sens…

* Cinquième étage de la fusée : l’Accord National Interprofessionnel, dit mutuelle pour tous, qui impose dans les entreprises une complémentaire (institut de prévoyance en général) low cost et là encore entraîne la nécessité de cotiser à une surcomplémentaire pour accéder à toute une partie de l’offre sanitaire…L’ANI augmente encore la présence des complémentaires dans le système.

 La loi de Santé arrive ! Elle parachève les lois précédentes : l’Etat devient responsable du système de Santé, les ARS, relais de l’Etat, voient leur pouvoir s’étendre encore et l’assurance maladie doit désormais appliquer les décisions de l’Etat ! Le Tiers Payant généralisé introduit l’assujettissement des médecins au financeur, comme l’avoue Mme B Dormont économiste à Paris Dauphine, membre de Terra Nova et dont l’influence dans la conception de la loi est non négligeable :  » si l’assurance maladie veut influer sur la pratique des médecins elle pourra le faire », « c’est la mort de la médecine libérale et c’est une bonne chose, d’ailleurs ». LE TPG est annoncé dès la présentation de la Stratégie Nationale de Santé, et E. Caniard lors du congrès de la mutualité en 2013, demande à ce que sa mise en place soit précipitée avant 2017, il insiste pour avoir en grande partie la main sur le financement et sur les flux financiers, il insiste et insiste encore sur la nécessité d’ouvrir la possibilité d’intégrer la médecine aux réseaux de soins… La loi introduit une base de données patient où se retrouvent colligées les données fiscales, sociales et sanitaires des patients. La loi donne la possibilité à l’Etat de vendre ces données au privé si celui-ci peut donner  l’assurance que leur exploitation a un intérêt de santé publique…Le fossé est large ! Aucune assurance de la hauteur de cryptage des données et de l’impossibilité de remonter aux données personnelles de chaque individu n’est garantie de manière certaine… Les déclarations de responsables nationaux d’instituts de prévoyance valident les craintes d’une loi construite en partie pour les complémentaires… Ainsi, Jean Paul Lacam délégué National des Instituts de Prévoyance, déclare face à la caméra que les complémentaires demandent depuis longtemps à avoir accès aux données de santé, et que grâce à la loi de Santé, cela allait être fait, offrant à leurs structures la possibilité de respect des critères de solvabilité imposé par SOLVA 2 ! (De plus, faut-il le préciser, s’ouvre le risque d’exploitation des données patients par des structures désormais au sein des entreprises…). La loi introduit donc  une médecine aux ordres du financeur, une atteinte et une destruction du principe même de secret médical, et des cadeaux indécents aux complémentaires. Cette loi, c’est la Chine : une étatisation totale de l’organisation, un ultralibéralisme sans règle dans l’aboutissement de son financement… A l’heure où j’écris, le Conseil Constitutionnel a brisé un coin de la loi en retirant aux complémentaires la possibilité de participer au TPG,  mais le 17 février les solutions communes de rémunération des praticiens au travers du TPG par l’assurance maladie et les complémentaires sont présentées…Aucune référence n’est faite à la décision du Conseil Constitutionnel et le train de la réforme avance comme si le CC était un rapport de la Cour des Comptes. Les syndicats de médecins après cette présentation, curieusement, ne parlent plus d’assujettissement et de perte de liberté mais des problèmes financiers liés au TPG et de l’impossibilité de mise en pratique et du risque économique encouru par la profession. L’UFML rappelle qu’aucune garantie financière, aucun aménagement du TPG ne le rendra plus attrayant, « on ne négocie pas la liberté, on ne marchande pas l’indépendance » doit rester le seul crédo des médecins face à une réforme qui fait d’eux des obéisseurs de l’Etat et des outils du marché. A l’heure où la solution d’exploitation du flux financier par des Organismes Concentrateurs Tiers, pointe avec possibilité pour des syndicats de posséder ces OCT, il est un vrai danger pour la profession de mise en place d’un système d’avilissement et plus que jamais nous devons rester en éveil ! Le monde de la Santé change et une révolution technologique, scientifique, numérique va impacter avec violence la médecine ; face à celle-ci, la médecine doit être forte, indépendante, libre. Si elle est assujettie, encadrée, dirigée, c’en sera fini de toutes les possibilités de lutte et d’organisation de son propre avenir.

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