60000 morts par an à cause des erreurs médicales ?

Soixante mille morts par erreurs médicales , mais quelle est cette assertion sortie du chapeau et de la même veine que les fameux 30 % d’actes médicaux non justifiés ? Ce serait le nombre fantaisiste et non vérifié, tiré d’un article du 2 novembre 2017 du Parisien , censé briser l’omerta autour des erreurs médicales et leur nombre. Dans cette interview, Claude Rambaud lance une estimation qui, d’après ses propres dires, est inexacte et non vérifiée dans le but de provoquer une réaction des pouvoirs publics. Nous reproduisons l’extrait de cet article dont une lecture critique suffirait à le démonter mais nous nous intéresserons ensuite en détail à ces prétendues estimations et leurs sources.

Peut-on évaluer le nombre de morts liées aux erreurs médicales ?

Claude Rambaud: Les données sont rares et floues mais, d’après mes estimations, on approche les 60 000 décès par an. Selon l’Organisation mondiale de la santé, un patient hospitalisé sur 300 décède d’un accident médical. Cette étude a été réalisée dans sept pays développés comme les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni. Or, en France, en 2016, 13 millions de personnes ont été hospitalisées, ce qui fait 43 000 morts par an. Il faut rajouter un autre chiffre : 18 000 personnes, issues de la médecine de ville, décéderaient chaque année, victimes d’une erreur médicamenteuse selon un rapport du Sénat. Il s’agit de traitements inappropriés, mal dosés, mal suivis par les médecins.

On arrive donc à peu près à 61 000 morts chaque année. C’est 20 fois plus que les accidents de la route et, selon mes calculs, cela pourrait être la 3e cause de mortalité dans notre pays.

Donc si ce fameux nombre de 61000 morts est la somme de 2 estimations différentes, cette somme est-elle justifiée ? On peut objecter à Claude Rambaud que sur les 18000 patients qui décéderaient à cause de la iatrogénie de la médecine de ville, un nombre non négligeable se voit hospitalisé. Sur ce nombre de patients hospitalisés si  le nombre d’1 mort sur 300 patients hospitalisés victime de la iatrogénie est exact, cela revient à les comptabiliser 2 fois dans les patients hospitalisés et décédés par iatrogénie dans cette estimation globale ! Mais allons plus loin.

Peut-on être juge et partie ?

En recherchant la source de ce nombre de 1 patient hospitalisé sur 300, on trouve d’abord un article du 17/12/2006 publié sur le site du LIEN (présenté sur son site comme une association d’aide aux victimes d’infections contractées dans une clinique ou un hôpital).

Fondée par des victimes de contaminations hospitalières, l’Association L.I.E.N. a pour objectif d’aider et d’accompagner toutes les personnes victimes des infections nosocomiales ou d’une erreur médicale
Le L.I.E.N. ne souhaite en aucune façon se positionner comme un adversaire des médecins et hôpitaux mais au contraire comme un partenaire responsable et respectable.

Le L.I.E.N. est membre du Collectif Inter-associatif Sur la Santé (CISS financé à 80% sur fonds publics) et présidé par la même Claude Rambaud.

L’article du LIEN du 17/12/2006 relate les propos de Sir Liam Donaldson, ancien officier-chef médical d’Angleterre et président de l’Alliance mondiale de l’OMS pour la sécurité des patients, qui annonce que 1 passager sur 10 millions risque de décéder dans un accident d’avion, alors que 1 patient sur 300 risque de décéder d’une erreur médicale.

Difficile d’extrapoler ce pourcentage à la France qui ne fait pas partie des pays étudiés pour parvenir à ce nombre d’autant plus que l’on peut penser que depuis 11 ans des mesures ont été prises pour diminuer le risque des infections nosocomiales.  Appliquer un calcul à partir d’une formule datant de 11 ans sur une population non française à partir d’un nombre erroné d’hospitalisations en 2016 (12,6 millions d’hospitalisations en 2016 et non pas 13 millions de patients hospitalisés, certains patients étant malheureusement hospitalisés plusieurs fois la même année) traduit une volonté manifeste de grossir un nombre qui ne repose ni sur une analyse scientifique ni une étude statistique sérieuses.

Que dit ce rapport OMS ?

Dans le communiqué de presse élaboré pour la présentation de ce rapport il est affirmé que:

A tout instant, plus de 1,4 millions de personnes dans le monde souffrent d’infections contractées à l’hôpital. Entre 5 et 10 % des patients admis dans les hôpitaux modernes du monde développé contractent une ou plusieurs infections. Dans certains pays en développement, la proportion de patients souffrant d’une infection liée aux procédures de soins appelée aussi infection nosocomiale, peut dépasser 25 %. En Angleterre, plus de 100 000 cas d’infections liées aux procédures de soins entraînent plus de 5000 décès directement attribuables à ces infections chaque année.

On pourrait donc attribuer 5000 morts en 2006 aux infections nosocomiales en Angleterre, un des pays étudiés pour affirmer qu’1 patient sur 300 décéde à la suite d’une erreur médicale. A noter que les infections nosocomiales connaissaient à l’époque une très forte proportion dans les pays en voie de développement et que le but de l’OMS était de promouvoir sa campagne de désinfection afin de diminuer ce risque.

Si on lit attentivement le rapport OMS, il n’est pas fait mention des propos de Liam Donaldson affirmant qu’un patient hospitalisé sur 300 décède d’un accident médical.

 En cliquant sur les liens proposés à la fin du rapport, on constate que le site OMS n’héberge plus de documents pouvant confirmer ou infirmer cette assertion.  

L’OMS a, depuis 2006, commandé un rapport pour mesurer le phénomène:

L’Alliance mondiale a commandé une étude pour mesurer la charge mondiale des soins à risque afin de fournir aux gouvernements les données qui leur permettront de combattre cette épidémie silencieuse qui n’a pas été suffisamment étudiée jusqu’ici, et est largement passée inaperçue.

Dans ces conditions, il nous apparaît inexact voire irrespectueux pour les milliers de professionnels de santé français qui s’engagent quotidiennement au service des patients, d’appliquer la règle de 3 proposée par Claude Rambaud, au système de santé français  même pour « briser une prétendue omerta ».

18000 morts liées à la médecine de ville ?

Le rapport réalisé en 2013 par Bernard Bégaud et Dominique Costagliola, intitulé rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France, affirme: « D’autres études de pharmacovigilance permettent d’avancer la fourchette de 10 000 à 30 000 pour le nombre de décès attribuables chaque année en France à un accident médicamenteux. » 

Bien que non chiffrée, une part notable de ces accidents correspond à des prescriptions ou utilisations a priori non justifiées et donc à des cas évitables. Cette proportion est délicate à estimer : les études fondées sur les cas déclarés tendent à la sous-estimer, tandis que toute prescription non conforme chez un patient présentant un effet indésirable n’en est pas forcément la cause. Un pourcentage de 20 % à 30 % paraît une estimation basse raisonnable si l’on se fie aux rares estimations françaises (A.P JonvilleBéra et al. Drug Safety. 2009 ; 32 (5) : 429-40) et à celles provenant de pays étrangers (Royaume Uni principalement) dans lesquels les recommandations de prescription et d’usage sont généralement mieux respectées.

En appliquant ce pourcentage de 30% de cas évitables à la fourchette haute des décès liés aux accidents médicamenteux, le nombre de morts liées à un accident médicamenteux iatrogène est de 9000 au maximum, soit la moitié de « l’estimation » de Mme Rambaud.

Si l’on veut s’écarter de la polémique et des effets d’annonce qui peuvent modifier la confiance des Français dans leurs soignants (ce qui peut provoquer des arrêts prématurés de traitement ou des reports d’hospitalisation avec perte de chance voire des décès évitables), il convient de s’appuyer sur des chiffres rigoureux et vérifiés. Certains journalistes ayant enquêté sur ce problème remettent heureusement en compte ces estimations au doigt mouillé.

Selon Le Monde, un appel d’offres à la communauté scientifique pour réaliser à partir de septembre 2017, une étude de grande ampleur sur la iatrogénie à été commandé par l’ANSM, les dernières estimation remontant à 1999.

En conclusion:

  • 61000 morts par erreurs médicales correspond à l’addition de 2 nombres qui ne sont pas additionnables
  • 1 mort sur 300 patients hospitalisés est une statistique datant de 2006, non extrapolable à la France et invérifiable car ne s’appuyant pas sur des études publiées
  • seulement 9000 décès pourraient être imputés à la iatrogénie médicamenteuse en 2013 (fourchette haute)
  • Si les médecins font parfois des erreurs, ce qui est humain, incontestable et nécessite d’être évalué objectivement et scientifiquement, les système de santé qui restreignent les budgets et les effectifs médicaux génère aussi un certain nombre de décès non négligeable (120000 morts au Royaume Uni  depuis 2010 par coupes budgétaires alors que la NHS est régulièrement citée en exemple !)

Quand on veut tuer son chien on l’accuse de la rage ?

Dr Franck Chaumeil

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