Système de santé à la française (1946-2026) : In Memoriam par le Dr Henri Guerini – VP de l’UFMLS

Logo X-ray UFMLS

La Sécurité sociale fut initialement créée en 1946 avec l’idée qu’elle devait être indépendante de l’État. Elle s’opposait au modèle beveridgien en ce sens qu’elle était administrée par les salariés et financée par les cotisations sociales, contrairement au système qui a donné naissance au NHS, lequel devait être dirigé par l’État et financé par l’imposition.

Très vite, l’État y a vu une perte de pouvoir et a voulu reprendre la main, initiant un long processus de démantèlement de l’autonomie du système de santé.

L’État a d’abord cherché à décrédibiliser la gestion existante. Il lui fallait faire porter sur le régime général des charges qui ne devaient pas lui être imputées et ainsi pouvoir lui reprocher un déficit alors même que les cotisations n’avaient pas prévu de financer les mesures qui lui étaient imposées.

Dès 1949, cette problématique fut débattue à l’Assemblée, avec des critiques sur sa gestion justifiant, selon un grand nombre de députés, le renforcement du contrôle de l’État sur la Sécurité sociale et sur les assurés eux-mêmes. La Sécurité sociale était alors décrite par certains journalistes de l’époque comme un « monstre à cinq pattes qui allaite et dévore ses enfants ».

À l’époque, le conventionnement était refusé par les syndicats médicaux qui y voyaient la fin de la liberté tarifaire. Après des années d’incapacité à signer des conventions acceptables, l’année 1960 fut le point de départ de la généralisation du tarif opposable. Le décret du 12 mai 1960 centralisa le pouvoir de négociation et contourna l’unité du syndicalisme médical. Deux taux de remboursement furent applicables : un taux élevé pour les médecins qui signaient individuellement la convention et s’engageaient à respecter le tarif négocié (équivalent actuel du secteur 1), et un taux faible pour les autres. Ce décret fut une arme de destruction du syndicalisme médical : il créa deux catégories de médecins, ceux bien remboursés attirant une vaste clientèle, et les autres voyant leur patientèle se réduire.

L’État venait ainsi de prendre la main sur les acteurs du système de soin. Il lui faut maintenant mettre la main sur la sécurité sociale et le régime général. Pour cela, Georges Pompidou fut  le suivant à dégainer et Jean-Marcel Jeanneney ministre des affaires sociales, asséna le coup le plus violent par ses ordonnances qui instaurèrent deux changements majeurs :

  1. La division du régime général en trois caisses distinctes (CNAM, CAF et CNAV) selon le type de risque. L’enjeu de cette séparation était d’empêcher la solidarité financière entre les risques.
  2. La modification de la gouvernance par l’introduction du paritarisme. Sous prétexte d’équilibre, les salariés cotisants n’occupèrent plus que 50 % des sièges, contre 75 % auparavant. Il suffisait alors au patronat et à l’État de trouver un syndicat conciliant pour les mettre en minorité. Les salariés perdaient ainsi la main sur la gestion administrative.

L’État, conscient du potentiel inflationniste du conventionnement médical, réintroduisait la liberté tarifaire en 1979. Dans le cadre des négociations pour la nouvelle convention nationale, le gouvernement de Raymond Barre, soutenu par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) alors présidée par le binôme force ouvrière et confédération nationale du patronat, inventa le Secteur 2, dit à complément d’honoraires. Il limitera ensuite rapidement l’accès à ce Secteur 2 aux seuls spécialistes et sous certaines conditions, bloquant ainsi rapidement les médecins généralistes en Secteur 1.

Incapable de valoriser la médecine libérale, l’état instaura donc le Secteur 2 pour pouvoir dérembourser une partie des soins sans s’attirer la colère des professionnels. Cela permettait également de faire revenir dans le jeu les mutuelles qui avaient largement perdu leur place avec l’avènement de la sécurité sociale en 1946.

C’est ensuite le gouvernement socialiste de Michel Rocard (1990) qui traduisait par l’impôt, la réappropriation de la sécurité sociale par l’état en introduisant la Contribution sociale généralisée (CSG), la préférant à la cotisation sociale. Initialement à 1,1 %, le taux a augmenté progressivement. Après avoir concerné uniquement les prestations familiales, la CSG finance désormais les risques maladie et vieillesse. La Caisse nationale d’assurance maladie est maintenant financée à hauteur d’environ 1/3 par l’impôt (majoritairement la CSG), 1/3 par les cotisations sociales et 1/3 par d’autres contributions et taxes.

D’un point de vue politique, la CSG légitime la prise de contrôle de l’État sur toutes les institutions de protection sociale autrefois financées par la cotisation des salariés.

Le gouvernement Juppé (1995-1996) ajouta une pierre à l’édifice de l’étatisation.

L’innovation majeure résida dans la Loi de Financement de la Sécurité sociale (LFSS) qui créa un budget de la Sécurité sociale. On passa d’une logique de réponse aux besoins à une logique d’adaptation à une contrainte budgétaire. La LFSS, via la fixation de l’ONDAM (objectif national de dépenses de l’assurance maladie), devint l’instrument de pilotage tant attendu de la production de soins.

Parallèlement, l’ordonnance d’avril 1996 institutionnalise le rôle de la Mutualité et crée les Agences régionales d’hospitalisation (ARH), précurseurs des ARS, qui deviennent l’arme décentralisée de l’État pour gérer et verrouiller les pratiques médicales.

 

En 1998, Marisol Touraine, ministre de la Santé socialiste, remettait définitivement en selle les mutuelles. En échange de verrouiller les compléments d’honoraires, elle rendit obligatoire les mutuelles dites « responsables » pour tous les salariés. Le deal était simple : les complémentaires santé reprenaient le reste à charge Sécu et les compléments d’honoraires à condition que les médecins les limitent grâce à un contrat proposé aux médecins secteur 2, appelé maintenant l’OPTAM. Ces médecins acceptaient que ces compléments soient donc verrouillés en échange d’un remboursement intégral par les mutuelles. Les syndicats médicaux tombèrent dans le panneau et signèrent cet accord conventionnel qui, on le verra, laissa le champ libre à l’État pour baisser les remboursements et les glisser progressivement aux mutuelles. L’augmentation des cotisations aurait directement été reprochée aux politiques, mais l’augmentation des tarifs des mutuelles ne sera reprochée qu’à ces dernières.

L’état avait repris la santé, le reste à charge a été glissé aux mutuelles, on pouvait maintenant dérembourser pour alléger les comptes de la Sécurité sociale en s’attaquant aux remboursements des actes médicaux.

Pour aboutir à cela, il fallait pouvoir baisser les tarifs par autoritarisme, sans passer par la convention médicale. C’est le PLFSS 2026 en cours d’examen au parlement, qui allait se charger de cela.

L’État demande, dans ce plan, le droit de baisser unilatéralement les tarifs médicaux qu’il estimerait trop élevés (article 24). C’est la fin du sacro-saint processus conventionnel qui faisait de l’accord entre les médecins et l’assurance maladie, le seul moyen de négocier le remboursement des actes médicaux.

Il faut maintenant ôter toute envie aux médecins de se déconventionner. L’État choisit alors de rendre ce choix invivable pour les patients en proposant dans le même PLFSS, de dérembourser tout acte prescrit par un médecin déconventionné. Il s’agit d’une atteinte aux droits fondamentaux des cotisants et à l’accès aux soins, mais plus rien n’arrête l’état qui a maintenant les pleins pouvoirs et profite de la crise institutionnelle pour tout oser. En plus de cela, le gouvernement propose d’empêcher un médecin déconventionné de se reconventionner pendant deux ans. Peu importe l’accès aux soins et les déserts médicaux, ce qui compte c’est la domination sur le corps médical et les patients.

Pour toucher enfin au but, il faut se charger des derniers médecins libres de fixer leurs honoraires dans le cadre de la convention (les médecins en secteur 2).

C’est la proposition de loi (PPL) du député Garot qui s’en chargera peut-être car elle prévoit de bloquer l’accès à ce secteur aux nouveaux médecins en leur proposant au mieux l’OPTAM. Il suffira également d’empêcher les médecins ayant déjà signé l’OPTAM de revenir au Secteur 2 et dans quelques années, ça en sera terminé des honoraires libres.

Avec le PLFFS 2026, l’état vient de franchir un cap en détruisant totalement la médecine libérale ” à la française”. La boucle est bouclée, l’esprit de la sécurité sociale de 1946 est définitivement mort et cela est une grave erreur. En privant les patients et les médecins de la liberté de choisir la gestion de leur système de santé, il créera une autre voie. L’exemple le plus flagrant est le système de santé anglais totalement étatisé dont l’échec a laissé la voie au développement d’une médecine libérale gérée uniquement par les assurances. L’intérêt à être conventionné n’existant plus pour les médecins comme pour les patients, ils décideront peut-être de prendre également cette voie, l’état en sera alors le seul responsable.

Dr Henri Guerini – VP UFMLS X-Ray

0 Commentaires

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

©2025

Vous connecter avec vos identifiants

Vous avez oublié vos informations ?