Lettre à adresser aux élus

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LOGO UFML DEFINITIFMadame la sénatrice Monsieur le sénateur,

La loi de modernisation de la Santé, votée en première lecture à l’Assemblée nationale doit maintenant être étudiée au Sénat.
Face à une loi complexe, dont l’impact pourrait être majeur pour notre système de santé, il nous apparaît indispensable de porter à votre écoute l’analyse de cette loi et de ses conséquences, par les médecins et les professionnels du soin.

Le Tiers Payant Généralisé, mesure emblématique de la loi, pose des problèmes éthiques et techniques dont l’impact mérite la plus grande attention.

Les problèmes techniques du TPG

Ces problèmes techniques (augmentation du temps de non-soin, perte financière fragilisante) ne constituent pas notre souci principal mais sont incontestables.
La vérification de l’ouverture des droits, de la validité de la carte vitale, de l’existence d’un médecin traitant, gestion du recouvrement, suivi des règlements, récupération de l’indu auprès de plus de 600 mutuelles, n’en sont que quelques exemples, et le rejet de l’amendement 1731 demandant l’instauration d’un flux unique (paiement du médecin par l’assurance maladie pour la part obligatoire et avance des frais de la part complémentaire avant remboursement de celle-ci par les organismes complémentaires) montre l’inquiétude du législateur quant à la capacité de l’assurance maladie à se faire rembourser.

– Certains de ces problèmes existent déjà avec le tiers-payant que nous exerçons pour les CMU, ALD, AT, alors même qu’il n’y a qu’un seul interlocuteur, à savoir l’assurance maladie
– Les pharmacies ont environ 30 000 € par an et par officine de tiers payant non recouvré
– Un cabinet de radiologie de moyenne taille a deux salariés à plein-temps uniquement pour gérer les problèmes liés au tiers-payant
– A 23 euros l’acte, au plus bas de la moyenne européenne, les médecins généralistes n’ont pas les moyens d’avoir un temps de secrétaire.

Les problèmes éthiques du TPG

1er problème éthique : La loi de modernisation de la Santé définit dans son article 1 que l’Etat devient responsable de la politique de santé, avec le relais des ARS et une assurance maladie qui applique les décisions de l’Etat.
Dès lors, un médecin pourra-t-il garder son indépendance de prescription quand ses honoraires lui seront désormais versés directement par le financeur devenu également l’organisateur des soins ? Madame Brigitte Dormont, membre du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, représentante du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche au sein du Conseil des formations de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, membre de Terra Nova, confirme d’ailleurs que le TPG assujettira effectivement les médecins et semble en faire un des buts de la loi.
(France Culture avril 2014
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5023887).
L’indépendance des pratiques est pourtant le socle même de la médecine et le rempart contre toute pression politique ou financière. (Quelle utilisation d’un tel pouvoir demain légalisé pourrait être faite par un parti politique extrémiste ?). La liberté de soigner est fondamentale et ne doit en rien être impactée par d’autres intérêts que le soin. Faut il rappeler les scandales du sang contaminé ou de l’hormone de croissance, extrêmes historiques d’une santé sous influence.

2e problème éthique posé par le Tiers Payant Généralisé, l’impact financier de la récupération des franchises pour les patients en difficulté économique, (au mépris de la promesse du candidat Hollande de supprimer celles-ci) et l’obligation de donner une autorisation de prélèvement sur leur compte bancaire à l’état afin de pouvoir bénéficier du Tiers Payant Généralisé. Cette récupération, pour un problème de coût du process, ne pourra se faire que de façon cumulée et la somme prélevée pourra dès lors impacter fortement le budget de certaines familles. Comment peut-on à la fois parler de difficulté d’accès à des consultations à 23 euros et ponctionner 50 euros ou plus, en une fois, sur les comptes de tous les Français ?


3e problème éthique, que nous ne pouvons écarter : la possibilité donnée au gouvernement en place de pouvoir tôt ou tard,
désengager la Sécurité sociale par la diminution de sa part de remboursement et par un transfert de charge aux complémentaires Santé. Cette opération a déjà commencé avec le remboursement par les complémentaires Santé des augmentations tarifaires permises par l’avenant 8 à la convention médicale : forfait 5 euros pour la prise en charge des personnes âgées de plus de 80 ans et forfait médecin traitant de 5 euros.
Ce désengagement pourrait ouvrir le champ médical aux
réseaux de soin privant le patient du choix de son médecin / chirurgien (la profession médicale est exclue à ce jour de cette vision commerciale de la médecine du fait d’un remboursement Sécurité sociale majoritaire). Nous ne pouvons courir ce risque d’une marchandisation du soin. Nous ne pouvons accepter pour demain l’éventualité d’un système de santé où chacun percevra des soins suivant la hauteur de ses revenus ou la qualité de son contrat de complémentaire.


La falsification ou la manipulation des données et des chiffres de l’accès et du renoncement au soin, ou de la pratique du TPG en Europe qui a été faite par notre ministre, renforce nos doutes.

– Pour rappel, la consultation chez le généraliste est à 23 euros en France, contre 45 euros en moyenne en Europe, au sein d’un système de santé solidaire et socialisé.

– Il est faux de déclarer que 25 % à 30 % des Français renoncent au soin pour des motifs économiques. Cela tendrait à dire qu’avec un système de santé soi-disant parmi les meilleurs du monde, et avec un déficit chronique abyssal, la France aurait un renoncement aux soins très largement supérieur à la moyenne européenne (taux supérieur de 83 %) et surtout un taux de renoncement de plus de 43 % supérieur à celui des USA.
http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-83177-les-mensonges-du-renoncement-aux-soins-en-france-1001582.php
Seule la Pologne fait pire que la France avec 39 % de renoncement. Or l’OCDE, dans une étude économique de la Pologne en 2012, écrit :  » Étant donné le niveau relativement faible des dépenses de santé publique de la Pologne et les strictes limitations imposées à ces dépenses, on peut craindre […] des défaillances dans la prestation de services de santé ».
La France aurait donc un niveau de renoncement au soin quasi identique à celui d’un pays aux dépenses de santé très inférieures, et supérieur à celui des USA et leur système de santé inégalitaire ?

Quelques données encore : Les raisons du renoncement aux soins sont les suivantes :
Enquête santé et Protection sociale 2012- institut de Recherche et documentation en économie de la santé n°198- Mai 2014
– 4,8 % de renoncement pour raison financière, moins de 1 % pour une consultation chez le généraliste, et en majorité s’il s’agit de soins optiques ou dentaires (14,9 % si pas de mutuelle)
– 17% ont renoncé au moins une fois aux soins en 2012 en raison de délais d’attente trop longs pour voir un médecin
– 3% ont renoncé en raison de l’éloignement du cabinet médical.


– Notre ministre a également déclaré à de très nombreuses reprises que la France était un des derniers pays d’Europe à pratiquer le TPG, que 25 pays le pratiquaient en Europe.
Cela est faux : seuls trois pays : l’Allemagne, l’Angleterre et l’Autriche pratiquent le TPG intégral, les autres pratiquent le TPG sur la part obligatoire.
A ce stade, il est bon de rappeler les conséquences dramatiques de ces systèmes de santé : en Angleterre, on ne soigne plus certaines pathologies au-delà d’un certain âge ou certaines maladies (addictions) et en Allemagne, on assiste au départ de près d’un quart des médecins qui y sont formés.


– Imposer le TPG ne se justifie pas devant la réalité des chiffres, avec un coût de mise en place qui se chiffrera à près de 1 milliard selon certains experts, alors qu’il ne permettra ni d’améliorer l’accès à une mutuelle, ni d’améliorer la prise en charge des soins obstinément mal remboursés par l’assurance maladie (prothèses dentaires, lunettes, audioprothèses et de nombreux actes chirurgicaux)


Les professionnels et experts du système que nous sommes auraient trouvé fondé :
– l’augmentation du nombre de personnes bénéficiant de la CMU ou de l’Aide à l’accès à une complémentaire santé (ACS)
– La suppression des franchises.
– La création par les mutuelles d’une carte de paiement à débit différé telle qu’elle existe déjà au crédit mutuel (cette carte sert à payer le médecin et le compte du patient n’est débité que quand l’Assurance maladie a viré le remboursement).
Le TPG va augmenter le temps de non-soin et diminuer de fait la qualité des pratiques. Or, il n’est pas dans la mission des médecins de réaliser une part non négligeable des missions de l’assurance maladie ou des complémentaires santé.

La loi de modernisation de la Santé modifie le socle éthique de la médecine.

– Par son article 25, elle donne l’organisation et la propriété du Dossier National Médical Partagé (DNMP) à l’assurance maladie, financeur. Les données de ce DNMP seront obligatoirement renseignées afin de pouvoir bénéficier de soins (exploitation de données médicales impossibles sans son renseignement) et ces données seront donc accessibles à des non-médecins, le secret médical est ainsi bafoué.

– Dans son article 47, la loi crée un accès ouvert et sécurisé aux données de santé par la mise en œuvre d’un système national des données de santé (SNDS), centralisateur des données sanitaires et médico-sociales et contrôlé par un Institut national des données de santé. Cette base de données- patient sera accessible, pour exploitation, aux services de l’Etat, mais également à des structures privées (assurances, Instituts de prévoyance, mutuelles), dès l’instant où elles respectent les préconisations de la CNIL. Nous ne pouvons, là encore, donner quitus à une loi qui ouvre la porte à l’exploitation des données les plus sensibles, sans garantie autre que l’honnêteté des entreprises qui y accéderont. Là encore il est de notre devoir de médecin de prévoir l’avenir et de dire au législateur, « Ne prenez pas ce risque, n’ouvrez pas la boîte de Pandore ».
Le refus par le législateur de l’anonymisation des données en amont, dès le cabinet médical, nous donne raison.

De façon plus générale, la loi de modernisation de la Santé prend le risque d’aggraver des problèmes actuels en rendant la médecine libérale encore moins attractive.


D’aggraver les délais pour consulter un médecin en les détournant de leur tâche essentielle


D’augmenter le nombre de désert médicaux et de la carence croissante en médecins du fait d’un exercice encadré, et non attractif.


– La loi de Santé menace de destruction progressive et accélérée de la médecine libérale, (cette crainte a été là encore validée par Mme B. Dormont
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=5023887), indispensable complément d’une médecine hospitalière désormais pénalisée par une suractivité des plus coûteuses pour la Nation.

– Elle menace de détruire le tissu hospitalier privé

–     par l’application du service public hospitalier qui interdit aux établissements de santé privés, tout dépassement d’honoraires sur l’ensemble des activités de soins. C’est une rupture d’égalité majeure avec les établissements publics pour lesquels cette condition n’est pas requise. Rappelons que les honoraires complémentaires sont indispensables à la pratique d’activités entières, du fait du déremboursement organisé par l’Etat par un blocage tarifaire parfois depuis 20 à 30 ans (ex en chirurgie).

–     par la définition de la notion de bénéfice excessif où l’on taxe les établissements vertueux en termes de gestion,

–     et par l’application de baisses tarifaires autoritaires justifiées par le gain de subventions (MIGAC : Mission d’intérêt Général et d’Activité Contractuelle) dont pourtant 99 % sont versées au secteur hospitalier public et ESPIC.

– Elle ouvre grand le droit aux médecins hors UE de venir s’installer en France s’ils s’inscrivent deux ans en DESC, au mépris de la sélection draconienne vécue par les futurs médecins au sein du cursus universitaire français. Nous ne pouvons pas accepter le règlement des problèmes d’activité des centres hospitaliers par la mise à disposition d’une main d’œuvre médicale bon marché, isolée et peu revendicative.
Pour rappel
Rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins de janvier 2014
– en 2014, moins de 9 % des médecins obtenant leur diplôme s’installent en libéral (généralistes et spécialistes confondus). Avec une moyenne d’un praticien pour environ 1 500 habitants, la Seine-Saint-Denis est le département qui compte le moins de généralistes en France. Près d’un sur cinq a quitté la capitale entre 2007 et 2014.
– 20 à 25 % de ceux qui débutent leur carrière actuellement ont un diplôme obtenu à l’étranger. Les étrangers sont pour 62,4 % salariés (contre 43,6 % pour les titulaires d’un diplôme français) et ils choisissent de s’installer majoritairement dans les régions déjà à forte densité médicale.
– vieillissement de la population médicale : 42 à 44 % de médecins ont plus de 55 ans.
– le nombre de médecins retraités a augmenté de 62,5% de 2006 à 2014, tandis que sur la même période, la hausse des actifs n’était que de 1,2 %.
– taux de suicide des médecins : 2,48 fois plus que la population générale.

http://www.conseil-national.medecin.fr/node/1472

– Enfin la loi de Santé crée un droit à la Santé et rend l’Etat responsable de la prise en charge des conséquences financières et sociales de la maladie (article 1). Quelles seront les conséquences économiques, sociales, politiques d’une telle décision ? Aucune étude de coût, aucune projection d’impact social et économique n’a été validée au regard du champ d’application et de la demande de soin désormais ouverte.


La loi de Santé apparaît donc comme une loi non aboutie, construite sur la base de données non vérifiées, en l’absence d’expertise des médecins et des professionnels du soin, dont les risques, soit n’ont pas été évalués, soit ont été masqués aux patients et à tous ceux qui relèvent de notre système de santé.
Elle ouvre un changement total de paradigme de notre système de soin et étend le champ des possibles sans en mesurer les risques.
La profession médicale ne peut l’accepter et en appelle à votre liberté d’élu. Cette loi ne relève pas d’une discipline de parti, mais d’un acte politique de représentant du peuple et de responsable législatif.
Nous ne doutons pas que vous porterez la plus grande attention à ce courrier et savons que vous saurez mesurer la portée de votre responsabilité.

Recevez Madame la sénatrice, Monsieur le sénateur, l’assurance de ma sincère considération.

Dr Jérôme Marty

Président UFML.

PS :
Article L162-2 du code de la sécurité sociale (créé par Décret 85-1353 1985-12-17 art. 1 JORF 21 décembre 1985) :« Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi n° 71-525 du 3 juillet 1971 ».

Membres de la commission des affaires sociales ICI

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