Reconnaissance automatique du covid en maladie professionnelle : la fausse bonne idée ?

(A la suite de la parution de cet article, Nicolas Revel a répondu sur Twitter le jour même, voir en bas de page)

 

Après l’affaire des masques qui-servent-à-rien-car-en-fait-on-en-a-pas, la gestion girouette de la crise sanitaire, et le sacrifice de soignants pour lesquels l’Etat se refuse de faire le décompte, le gouvernement va t-il porter le coup de grâce aux libéraux en reconnaissant automatiquement le covid-19 comme maladie professionnelle ? Ou cette fausse bonne idée est-elle un nouvel épisode dans la méconnaissance de la précarité des soignants en matière de protection santé ? C’est en tout cas le cri d’alarme d’Estelle Bodilis, courtière en assurances. indépendante à Brest, qui nous alerte sur le danger que courent de nombreux libéraux, y compris parmi ses clients, si le gouvernement applique sa décision de reconnaître en maladie professionnelle (et de façon automatique de surcroît) les contaminés de la pandémie qu’il leur demande de combattre.

En effet, peu de libéraux le savent, et même peu d’employés de la sécurité sociale elle-même le savent, mais les assurances privées ne couvrent que le risque professionnel en espèce (rente d’invalidité, etc.) mais pas le risque professionnel en nature, c’est à dire les frais médicaux en accident de travail. Et la sécurité sociale non plus ! « Concernant le montant de la cotisation, on entend beaucoup d’informations erronées, incomplètes ou contradictoires. Certains mélangent même indemnités journalières (couverture des revenus) et couverture des frais », soupire, du côté de Béziers, Laurent Saint-Aubin, courtier en assurances.

Que les choses soient claires : vos cotisations URSSAF ne payent que le risque privé. C’est à dire votre consultation chez le médecin pour fièvre, votre radiographie si vous vous cassez le bras au ski, etc. Par contre, vous êtes infirmier et victime d’un accident de trajet pendant votre tournée ? Vous n’êtes pas couvert par la sécurité sociale pour les soins. Vous êtes dentiste et vous vous coupez le doigt avec une rotative ? Pas de couverture non plus pour les soins. Vous êtes victime d’une maladie professionnelle ? Même combat. Et donc en toute logique, si vous devez passer plusieurs jours en réanimation car vous avez été contaminé par le covid-19 dans le cadre de votre travail, et que cette contamination est automatiquement reconnue comme maladie professionnelle (comme l’a promis Olivier Véran) : la sécurité sociale (que vous payez pourtant via les URSSAF) ne vous donnera aucun décompte de la sécu pour les soins, mais une jolie facture à régler de votre poche, car vous êtes un indépendant. Et si vous devez y décéder, comme 30 à 40% des patients covid qui entrent en réanimation, c’est votre famille qui recevra la facture. Et tant pis s’il faut vendre la maison. Ne croyez pas que c’est un fantasme, c’est déjà arrivé, notamment à la famille de cette infirmière victime d’un accident de la route pendant sa tournée et décédée après dix jours en réanimation

Et vous connaissez l’autre règle : si pas de décompte de la sécurité sociale prouvant une prise en charge, pas de remboursement par une mutuelle pour le complément. Les mutuelles en France ne couvrent en effet aucun risque dès le premier euro pour les frais médicaux. Certaines s’offrent par contre le luxe de le faire pour les fausses médecines, ces fameuses fakemeds. Allez comprendre pourquoi le naturopathe est remboursé, mais pas l’hospitalisation de l’accident de voiture pour vous rendre au travail. 

Nombreux sont les libéraux à vouloir à tout prix lier leur pathologie à leur métier, pensant comme pour les salariés qu’ils seront avantagés. Ne dit-on pas qu’il n’y a pas d’avance de frais pour les accidents de travail ? Qu’il n’y a pas de jours de carences ? Ce qui est vrai pour les salariés est faux pour les libéraux. Si un indépendant doit avoir un accident sur la route en allant au travail, il est préférable qu’il dise que c’est pour aller chercher la baguette de pain oubliée, que dire qu’il allait travailler. On en est là. Le piège est facile, et de nombreux libéraux tombent dedans, comme cet infirmier libéral dans le 56, client d’Estelle Bodilis, qui s’est cassé la clavicule dans son propre cabinet professionnel, et qui s’est vu refuser toute prise en charge pour avoir envoyé un certificat d’accident de travail. Il est toujours en arrêt à ce jour. Une autre cliente de la courtière est kinésithérapeute libérale et fut victime d’un accident de voiture lors de sa tournée, provoqué par un chauffard en état d’ivresse. Elle a ressenti de vives douleurs dorsales, les pompiers l’ont alors transporté aux urgences. Le médecin hospitalier lui a pratiqué différents examens qui représentaient une facture d’honoraire de 1000€. Quelle ne fût pas sa surprise de découvrir que la CPAM n’allait pas la rembourser !

L’absence de couverture des frais médicaux par la sécurité sociale pour le risque professionnel est donc un problème très simple, mais coupe gorge pour les libéraux. Manifestement Olivier Véran, notre ministre de la santé et médecin hospitalier (et donc salarié, loin des considérations du libéral) ne s’est donc pas rendu compte qu’en déclarant l’automatisation de la reconnaissance en maladie professionnelle des soignants malades du covid-19, il allait mettre sur la paille tous les libéraux contaminés et eux-mêmes probablement déjà victimes de l’incurie de l’Etat en matière de protection sanitaire des soignants. Rappelons que les protections contre le coronavirus furent toutes réquisitionnées, et qu’après la promesse de fournir les masques qui-existent-mais-qui-n’existent-pas-en-fait aux soignants, l’immense majorité des médecins généralistes en ville n’ont reçu en un mois que quelques masques chirurgicaux et moins d’une dizaine de FFP2 (qui ne sont efficaces que 3 à 4h), avec impossibilité de se fournir ailleurs. Le premier ministre Edouard Philippe ayant confirmé ce jour avoir réservé les masques aux hospitaliers. 

Et cette situation n’est pas étrangère au lourd tribut des soignants dans le décompte journalier des morts.

Il est donc légitime de demander à Olivier Véran, Ministre des solidarités et de la santé, pour quelle(s) raison(s) il a déclaré lors des questions au gouvernement le 21 avril 2020 qu’il y aura automatisation dans la reconnaissance en maladie professionnelle des soignants qui seraient contaminés par le covid-19, sachant que cette automatisation aura pour conséquence d’exclure tout remboursement des soins par la sécurité sociale, y compris les journées de réanimation à 3000€ en moyenne.

Dans l’hypothèse où les propos d’Olivier Véran ne concernent que les salariés, avec pour conséquence une prise en charge à 100% pour ces derniers, mais pas pour les libéraux, pourquoi une telle différence de traitement entre les salariés des hôpitaux et les libéraux de ville, pourtant unis face à l’épidémie ? Pourquoi présenter comme un avantage, « une fleur », cette reconnaissance en maladie professionnelle alors qu’il en est rien pour les libéraux ?

Car, indépendamment du covid-19, l’absence de prise en charge du risque AT/MP par l’assurance maladie pour les libéraux ou les indépendants est un scandale qui a fait de nombreux drames  humains. Alors même qu’il s’agit d’une assurance très peu coûteuse. Et personne n’est à l’abri d’une enquête de police ou d’une télédéclaration innocente d’un médecin, d’autant que l’on découvre que la prise en charge est très CPAM dépendante. En effet vous lirez ci-bas (point 4) que certaines CPAM remboursent les soins du risque AT/MP comme en maladie (donc avec prise en charge de la mutuelle pour le complément), et d’autres refusent tout simplement tout remboursement (et donc pas de prise en charge par la mutuelle). C’est un scandale qui dure depuis trop d’années.

Enfin, pourquoi l’AVAT est-elle une prestation associée de deux risques, forçant les libéraux à s’assurer inutilement doublement pour le risque en espèces, afin de bénéficier du seul risque en nature qui leur permet une protection identique à celle des salariés (voir explication, très technique, en annexe ci-bas).

Rappelons que les déserts médicaux ont pour origine en grande partie la difficulté de l’exercice libéral et la faible protection sociale (90 jours de carence en cas de maladie, très faibles prestations sociales des femmes enceintes , etc.) en l’absence d’assurances dont le coût est souvent rédhibitoire au regard de la faiblesse de la nomenclature médicale.

 

@docPepperFR

Quelle aide obtenir du gouvernement ?

Annexe :  Estelle Bodilis indique existe une possibilité pour les indépendants de se couvrir du risque professionnel, mais rares sont les CPAM qui proposent cette assurance complémentaire aux libéraux : il faut souscrire dans le cadre des articles L743-1,-2, -3, -9 et -10  du Code de la Sécurité Sociale à une Assurance Volontaire Accident du Travail ou AVAT. La courtière explique qu’elle n’a aucun intérêt à cette démarche, hormis la protection de ses clients puisqu’il s’agit d’une cotisation supplémentaire à l’URSSAF, déductible des revenus professionnels, sur laquelle elle ne touche aucune commission. L’AVAT est un package de prestations : des prestations en nature pour le risque accident du travail (garantie du remboursement des frais médicaux pour cause d’accidents ou de maladies d’ordres professionnels, c’est à dire factures d’une hospitalisation, d’actes de chirurgie, examens en Laboratoire, médicaments, etc.), et des prestations en espèces (paiement d’une rente d’invalidité). Cette prestation en espèces est très peu intéressante car elle intervient seulement si l’on atteint un taux d’invalidité de 100% sur un barème fonctionnel, cas très rare. L’AVAT coûte 2% de la rente couverte (et non du BNC comme indiqué sur le site ameli.fr). Il n’est pas possible de séparer ces prestations, c’est tout ou rien ! Ce qui revient à s’assurer deux fois sur le risque en espèces, car les libéraux sont souvent assurés (et mieux) pour des taux d’invalidité plus faibles et des spécificités liés à leurs métiers, via des assurances privées. Pour la courtière, il est toutefois possible de limiter le coût de l’AVAT optant pour une rente minimale de 18 631,28 €, ce qui revient à une cotisation annuelle d’environ 400€, à régler aux URSSAF. Pour souscrire à l’AVAT, il faut envoyer un formulaire d’adhésion à la CPAM, qui fera le lien avec l’URSSAF.

 

Infos complémentaires / Anecdotes sur l’AVAT :

1) Des discussions sur des forums dentaires sur Facebook indiquent que l’on est couvert par la PUMA en cas d’AT/MP, que ce serait même confirmé par Nicolas Revel. Il faut se méfier de ce genre d’informations, c’est probablement faux. Car la PUMA remplace la CMU de base depuis 2016, c’est un droit à inscription, cela n’a rien à voir avec la couverture du risque AT/MP que vous avez si vous êtes salarié, que vous n’avez pas si vous êtes indépendant. D’ailleurs, il a été confirmé par un responsable de la CPAM29 ce jour que la PUMA n’avait rien à voir avec l’AVAT, seule possibilité pour un assuré indépendant d’avoir le risque AT/MP couvert.

2) De même nous avons le cas d’une consoeur chirurgien-dentiste qui a souscrit l’AVAT il y a quelques semaines (octobre 2019) et aurait obtenu un refus au motif d’un BNC déclaré trop important (voir e-mail)Preuve que le BNC à indiquer sur le cerfa est la rente à assurer et non votre véritable BNC. Cela justifie donc de vous assurer au minimum (18631,28€) pour bénéficier du risque AT/MP, qui nous intéresse ici.D’ailleurs, pourquoi redéclarer un BNC pour une cotisation supplémentaire à payer à l’URSSAF, alors même que vous déclarez chaque année à l’URSSAF votre BNC ? On nage en plein illogisme

3) Il existe peut-être une alternative privée à l’AVAT, notament avec REPAM, une assurance qui couvre pour 21€ par mois le risque AT/MP non  couvert par la sécurité sociale, pour les travailleurs indépendants. Nous n’avons pas d’informations complémentaires pour le moment (suivre le lien pour en savoir plus). Nous avons demandé le contrat pour l’étudier, mais cela semble une alternative très intéressante.

4) De nombreux adhérents nous racontent le parcours kafkaïen pour obtenir l’AVAT, ou une attestation d’AVAT. Mieux, nous avons des exemples de différentes CPAM qui écrivent l’inverse dans leurs courriers : certaines disent qu’en cas d’AT il n’y a pas de prise en charge (donc pas de décompte, donc pas de prise en charge par une mutuelle), d’autres disent qu’il y a prise en charge comme au régime maladie (et le reste par la mutuelle). En gros, personne ne sait. Cela pourrait porter à en rire s’il n’y avait pas des drames humains qui se jouent derrière.

 


29/4/20 : la réponse de Nicolas Revel

Nous pouvons être rassurés, Nicolas Revel, qui doit nous lire, nous informe sur Twitter le jour même de notre article que nos craintes étaient infondées car pour le cas du covid-19, car ce sera le choix n°3 : l’exception ! La couverture universelle prendra en charge -le covid uniquement- sans condition d’assurance volontaire ou d’affiliation. Traduction : même les libéraux qui n’auront pas souscrit l’AVAT. Mais pour le covid uniquement. Cela revient à offrir la CMU aux libéraux, pour le covid uniquement. Cela veut dire que pour toutes les autres pathologies, les libéraux sont moins couverts que la CMU pour le risque professionnel.

C’est une bonne nouvelle, mais qui confirme ce que nous dénonçons en réalité : l’absence de couverture du risque AT/MP pour les libéraux qui, hélas, ne tombent pas uniquement malades du covid, et qui ne se savent pas assurés pour le risque professionnel, ou qui pensent l’être avec des courriers contradictoires des caisses d’assurance maladie, quand ils ne sont pas refusés à la souscription car on les informe que leur BNC est trop important (voir exemples ci-dessus avec les liens pour lire les courriers).

Il est regrettable que l’Etat se montre grand seigneur après des années où tout le monde pensait être couvert et ne l’était pas. D’ailleurs, Nicolas Revel le dit bien : ce sera pour le covid uniquement ! Le simple fait qu’il soit obligé de préciser cette exception pour le covid montre bel et bien qu’il y a un problème pour les autres pathologies, sur lesquelles il ne se prononce pas.

Toute notre démonstration ci-dessus est valable pour toutes les autres maladies qui ne sont pas le covid : les libéraux ne sont pas assurés. Et espérons que Nicolas Revel prendra conscience des drames humains qui se jouent et que le risque AT/MP sera pris en charge par l’assurance maladie pour les libéraux, au même titre que pour les salariés !

 

 

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