Lettre ouverte aux candidats à la Présidence de la République

Jerome Marty

Jerome MartyMesdames, Messieurs,

Vous êtes des femmes et des hommes politiques, vous prétendez à la magistrature suprême, la santé est et sera au centre de vos campagnes électorales. 
Dans six mois le candidat élu devra mettre en application sa ligne programmatique et réformer notre système sanitaire…Effrayant…

Effrayant, le mot n’est pas trop fort tant vos bilans respectifs écrivent la chronique d’un échec annoncé. 

Depuis plus de trente ans notre système de santé s’effondre : chacun de vous y a participé, au sein du pouvoir sous tel ou tel gouvernement ou par votre incapacité à porter le sujet dans l’opposition. 
J’ai 52 ans et j’ai vécu les conséquences de vos actes. 
J’ai vu ma profession souffrir et s’abimer sous vos décisions.

En 30 ans j’ai assisté à la multiplication des agences, à l’encadrement de mon exercice par une tutelle toujours plus renforcée, à la main mise de l’État sur l’organisation du soin, à la multiplication des normes et des procédures, à la fragilisation du secteur hospitalier privé, à l’organisation des restructurations, et au rachatd’établissements par des groupes financés par des fonds de pension étrangers. 
J’ai assisté au désaménagement du territoire et à l’émergence des hôpitaux-usines, à la déshumanisation du soin et à la dépersonnalisation, à la perte de sens ressentie par les professionnels, miroir de la perte des valeurs médicales de ceux qui prétendent diriger le système. 
J’ai vu changer notre monde sous le double effet d’une médecine accusée de tous les maux et d’un consumérisme lié à une santé désormais presentée comme un droit. 
Je vous ai observé durant toutes ces années, droite, gauche, centre, extrêmes, tous ignorants des spécificités comme des besoins de notre système de santé et pourtant tous porteurs d’idées de réformes construites par des experts autoproclamés du système : jeunes énarques sans expériences de vie, économistes liés à la sphère politique, associations de patients largement subventionnées …

J’ai vécu les Références Médicales Opposables, la maîtrise comptable, les Agences Régionales d’Hospitalisation puis de Santé, la montée en puissance de la Haute Autorité de Santé, la loi Hôpital Patient Territoire, le paiement à la performance puis la rémunération sur objectif de santé publique et la Loi de modernisation de la santé.

J’ai vu augmenter les difficultés d’exercice, sous une pression administrative permanente , des charges toujours plus importantes et des temps de non soin à la progression métastatique. J’ai vu apparaître l’épuisement des médecins et le burn out s’installer jusqu’à faire partie du métier, entre une demande de soin toujours plus importante et des tarifs volontairement maintenus au plus bas de la moyenne européenne. Face à ce blocage historique des tarifs, les médecins installés en secteur 2 ont du adapter leurs rémunérations ; ainsi, gouvernement après gouvernement, j’ai vu l’assurance maladie se désengager de pans entiers de la médecine dans le dos des Français. 
J’ai vu Marisol Touraine soutenue par la majorité actuelle, jeter le discrédit sur ces médecins et créer un Contrat d’Accès au Soin au seul but idéologique de diminuer la part d’honoraire complémentaire. 
J’ai vu dans le même temps, en miroir de vos réformes, baisser le nombre d’installations en médecine libérale au sortir de la Faculté, augmenter le nombre d’arrêts d’activité, apparaître et se multiplier les manques de professionnels, en ville, dans les campagnes, en clinique, à l’hôpital et, comme beaucoup, j’ai vécu ou su les drames de confrères brisés par un exercice professionnel désormais sous influences.

Je vous ai entendus, à longueur de temps, user de d’éléments de langage, de phrases calibrées, de solutions préfabriquées, répétées année après année jusqu’à être les génériques de leur échec. 
J’ai assisté à la mise en oeuvre de solutions toujours plus loin de la réalité, construites sur le mensonge, filles d’isolement, de dogmatisme, de simplification.

Alors que notre système s’effondrait , l’urgence était de tout miser sur l’humain, le professionnel, l’expert de terrain, je vous ai vus faire ou vous avez laissé faire l’inverse.

En trente ans, réforme après réforme, vous n’avez eu de cesse que de renforcer votre pouvoir, sur l’hôpital, sur les cliniques, sur la médecine de ville. Les Agences Régionales de Santé sont devenues le bras armé du centralisme.
J’ai vu des établissements forcés de se regrouper, contre toute logique sanitaire, sur le simple fait politique, d’autres être fermés. J’ai vu la multiplication des maisons médicales subventionnées, au modèle sanitaire caporalisé, construites par des municipalités que vous avez abusées, toujours plus chères, toujours plus vides… J’ai vu la crise sanitaire apparaître comme le résultat d’une équation mortifère : plus d’État, plus d’administration et des tarifs incompatibles avec une pratique de qualité.
J’ai vu l’augmentation des charges provoquer l’effondrement démographique, la perte de chance et les inégalités devant le soin. 
J’ai vu la médecine construite sans les médecins engendrer une France sans médecin…

Après avoir transformé les conséquences de vos actes en causes par l’affirmation maintes fois répétée d’une désaffection des jeunes pour l’exercice libéral, je vous ai vu appliquer une politique en trompe-l’oeil. 
Vous avez favorisé les installations des jeunes médecins à diplômes étrangers, pour cacher une réalité effarante : après 8 ans à 14 ans de formation de qualité, nombre de médecins formés à la médecine de France ne croient plus en leur avenir… 
J’ai vu Marisol Touraine incarner la synthèse de ces trente dernières années, par le mépris des professionnels de santé, les déclarations péremptoires et les manipulations de l’opinion publique, régulièrement relayées par des associations ou des organismes sous perfusion financière au sein d’une fausse démocratie sanitaire. Souvent soutenue par une classe politique totalement ignorante du drame qu’elle allait imposer aux Français. 
Je l’ai vue incarner le cynisme en politique lors de la mise en place de la loi de modernisation de la santé, revendiquée loi « pour les patients », justifiée par la lutte contre le renoncement au soin et les inégalité sociales en santé. 
Une loi qui, au final, a favorisé les organismes complémentaires sur le plan économique et politique, augmenté les restes à charge et la part fiscale de millions de Français et rompu le pacte solidaire au sein d’un système où l’accès au soin dépend maintenant de ses possibilités financières ou de la hauteur de son contrat de mutuelle.

J’ai vu cette loi qui modifie profondément notre système sanitaire être discutée au sein d’un hémicycle quasi désert et sa mesure emblématique, le Tiers Payant Généralisé être validé par une poignet d’élus du peuple alors que plus de 85 % des médecins y étaient opposés, pire j’ai vu cette loi être votée en procédure accélérée, en plein état d’urgence le jour de l’hommage aux victimes du 13 novembre 2015 quelques semaines après le drame, sans aucune justification d’urgence sanitaire, sans raisons médicales…

Le politique a ce jour là mis la main sur le soin symboliquement et concrètement.

Vous êtes en campagne électorale et, ces dernières semaines, « la Santé » a été au centre des débats parce que François Fillon a osé imposer le sujet.

J’ai la faiblesse de penser que vous ne l’auriez pas fait sans cet acte peu politiquement correct, et que le sujet aurait été une fois plus absent du débat. La maxime « La santé, il n’y a que des coups à prendre » maintes fois exprimées à droite comme à gauche, a donc été renversée pendant quelques semaines, effacée par l’urgence électorale. 
François Fillon a reçu les représentants de l’UFML à plusieurs reprises et fait sienne la proposition de faire entrer les représentants des professionnels de santé et des patients au sein de la gouvernance du système, ce point crucial n’a été relevé par aucun d’entre vous, lancés dans une course au statu quo face à notre système solidaire qui n’en finit plus de s’étioler à force de recul à statuer.

C’est pourtant la gouvernance démocratique qui enrayera le cycle des échecs du centralisme décisionnel, cette place faite à ceux qui savent le soin, vous l’avez pour la plupart écartée, vous avez fui vos responsabilités et vous vous êtes cachés derrière des chiffres comme si la médecine pouvait être mise en équation, et derrière le chiffre vous avez des années durant, oublié l’homme ; plus grave, vous continuez ! 
Vous éludez une fois de plus cette colère en concentrant vos arguments sur la part économique, prisonnier de votre peur de réformer et de votre incapacité à cogérer vous annoncez la poursuite de l’effondrement.

« La santé il n’y a que des coups à prendre », raison de votre fuite devant le réel pourrait se rappeler à vous.
Les Français pèsent chaque jour la dégradation de notre système de soin, ils ont plus de difficultés à se soigner, cotisent toujours plus pour être souvent moins remboursés, les déserts s’étendent, la colère monte..

Les médecins et les soignants quant à eux n’accepteront plus de supporter chaque jour les conséquences de vos choix et ils reprendront tôt ou tard d’une façon ou d’une autre leur liberté et leur indépendance. 
Quel que soit leur choix, ils resteront médecins, ils resteront soignants.

Certains prophètes annoncent l’avènement d’une médecine sans médecins : nous en sommes loin, et votre responsabilité n’a jamais été plus grande…

Il ne peut y avoir de médecine sans médecin, vos politiques centralisatrices et administratives ont montré leurs limites, il est temps de ranger vos idéologies, d’oublier vos égos, et d’oser l’humilité et la main tendue vers ceux qui, demain peut-être, devront se pencher sur votre souffrance, sans autre considération que celle de leur devoir de soigner.

cri

 

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