Analyse du dossier de la DREES sur les déserts médicaux

Analyse du dossier de la DREES

 

Auteur de cette analyse : Dr Benoit Grall, médecin français a Dublin

Les médias grand public :  ceci est la preuve qu’il faut limiter la liberté d’installation !
Le résumé du rapport : dit pas tout à fait ça
Le rapport : suggère ça
Les articles originaux : disent l’inverse

En décembre 2021, la DREES (Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques) publie un “dossier” sur les solutions aux déserts médicaux dans les pays développés. Il n’y a pas d’objectif, pas de méthode, on a donc droit ni à une revue de la littérature, ni à une métanalyse. Les articles existants sont nombreux mais offrent peu de conclusions à cause du sujet même de l’étude : les politiques de remédicalisation de zones sous-dotées sont souvent de courtes durées, de faibles effectifs, mélangent des mesures qui n’ont rien à voir entre elles et ne répondent à aucun protocole de suivi. De plus, 80% des publications proviennent des USA/Canada/Australie et s’intéressent à des problématiques spécifiques à ces pays (des territoires très isolés et défavorisés, majoritairement occupés par des populations autochtones).

La première partie du dossier traite des facteurs de choix du lieu d’exercice et la littérature internationale est claire sur ce sujet. Les principaux éléments pris en compte par les médecins sont avant tout personnels, principalement une attache familiale au territoire ou des opportunités de carrière pour le conjoint. Ce qui les attire, c’est aussi la qualité de vie dans le territoire concerné, un environnement professionnel épanouissant, un bon réseau de collègue et la reconnaissance du public. Les 4 principaux obstacles perçus sur le plan professionnel sont la charge de travail, des horaires prolongés, être isolé des avis de spécialistes et des opportunités de développement professionnel limitées. Le facteur le plus repoussant est l’existence de gardes et/ou d’astreintes.

Il faut noter que les facteurs de rétention (ou de maintenance) des médecins sur un territoire sont différents des facteurs d’installation (ou de recrutement). La rétention des médecins n’a pas fait l’objet de beaucoup d’études (1 seul programme positif dans le monde) mais les données suggèrent qu’un turnover important pénalise les installations et que les médecins qui s’installent volontairement sont plus susceptibles de rester sur le territoire. La décision de rester pour un médecin déjà installé dépend presque exclusivement de l’expérience sur place (conditions de travail, intégration dans la communauté, possibilités pour la famille).
Jusqu’ici passable, ce rapport devient pitoyable lorsqu’il analyse les solutions aux déserts médicaux. La bibliographie est à pleurer (il préfère citer le Guardian plutôt qu’un rapport officiel du gouvernement britannique), l’analyse est un recueil de tous les biais scientifiques possibles, contredit parfois les articles princeps (notamment le rapport de l’OMS) et ne laisse aucune place à l’autocritique. Le biais le plus évident est le cherry picking : sélectionner les données qui confortent le propos tout en négligeant celles qui l’invalident. Il y a trop d’exemples pour tous les citer mais juste pour illustrer : les programmes de formation qui favorisent l’installation dans les déserts sont jugés de façon détaillée et positive (comme l’université de Jichi) tandis que ceux (nombreux) qui n’ont eu aucun résultat sont jugés “non significatifs”. Un autre exemple : lorsqu’il s’agit de comparer la France et les pays scandinaves, les auteurs retirent Paris de l’analyse mais gardent Stockholm et Copenhague (des déserts médicaux, pour sûr). On trouve également à chaque page des amateurismes qu’on ne tolèrerait pas dans le powerpoint d’un interne au staff : ne pas citer la source d’affirmations pourtant cruciales (par exemple p39 “En Allemagne, des experts estiment que la situation s’est améliorée […]”. Spoiler : je n’ai retrouvé aucune publication qui affirme ce propos), mélanger les livres sterling et les dollars australiens ou encore des graphiques illisibles. Le vocabulaire peine à cacher l’opinion méprisante des auteurs sur les acteurs concernés : le rapport se félicite du succès du PASS/LASS, parle de “régulation de la main d’œuvre” ou encore de “composer avec moins”. Je ne ferais pas d’attaque ad hominem mais il aurait été éthique que les auteurs mentionnent leurs conflits d’intérêt, notamment avec l’Assurance Maladie.

Qu’obtient-on lorsqu’on analyse les articles princeps de la façon la plus neutre possible ? La principale difficulté de cette recherche vient de l’absence de définition de “désert médical”. Selon les pays, cela peut désigner des zones urbaines densément peuplées en pénurie de médecin, des régions peu peuplées très éloignées de centres médicaux ou encore des zones rurales proches de petites villes mais avec une faible densité médicale. Cette diversité des régions concernées rend la comparaison internationale difficile. Rien qu’en France, les départements les mieux dotés selon le CNOM sont la Haute-Vienne (Limoges) et la Seine St-Denis, 2 départements au profil économique, social et géographique complètement opposés.

À ce jour, selon l’OMS, 3 champs de mesures ont été prouvées efficaces pour réduire les disparités de répartition médicale : sélectionner des étudiants issus des régions sous-dotées, développer l’enseignement de la médecine en milieu rural et mettre en place des incitations financières. Les contrats de type bourse contre obligation d’installation ont un rapport coût/efficacité très élevé (plus de 100 000 euros par étudiant dans la plupart des études) et ont du mal à recruter (2 à 14 étudiants par année de programme). Les incitations financières ont été mises en place dans presque tous les pays étudiés depuis les années 80 (Canada, Danemark, Royaume-Uni…) mais il faut multiplier le revenu médical médian par 2 voire 3 pour obtenir des résultats significatifs. À ce titre, l’expérience de la permanence des soins de la Sarthe est exemplaire puisqu’elle a réussi ses objectifs de couverture du territoire avec une rémunération 3 fois supérieure au forfait conventionnel. Les mesures de soutien aux médecins après l’installation (comme faciliter les remplacements) seraient un facteur d’attractivité mais les politiques observées sont très diverses et mal évaluées.

Le rapport va surtout mettre en avant et de façon vraiment positive les mesures de coercition à l’installation. L’OMS ne recommande pourtant pas ces mesures car il n’y a pas de preuve de leur efficacité. Les données suggèrent que le bénéfice de court terme (installation de jeunes médecins) est annulé par les inconvénients de long-terme (départ des médecins expérimentés). Cela n’aurait (notez l’usage du conditionnel, je reste prudent) de bénéfices que pour les régions qui n’ont aucune autre solution et qui renoncent à retenir des médecins sur le long terme (comme les territoires au nord de la Norvège). L’OCDE quant à elle estimait en 2014 que la coercition était inutile car elle favorisait la fuite des médecins vers le secteur privé.

A ce titre, on observe que la plupart des politiques de coercition ont été soit abandonnées, soit considérablement assouplies. On citera le fameux Québec, obligé de réviser son programme en 2015, le non moins fameux Danemark, contraint de combler les régions vides par des médecins salariés, l’Allemagne qui a refondé sa politique en 2013 du fait d’une pénurie de spécialistes ou encore la Norvège qui a quasiment abandonné la coercition en 1998 pour se concentrer sur le soutien des internes. Même avec une politique de coercition comme le Canada, des mesures de soutien aux installés en région sous-dotées ont été nécessaires. Terminons par l’exemple que personne ne veut citer : le Royaume-Uni a abandonné en 2002 toute politique de coercition à l’installation. Les rapports parlementaires (pas le Guardian donc…) ont conclu que cette politique avait aggravé la pénurie de médecin en faisant fuir à l’étranger jusqu’à 50% de certaines promotions. Bien ouèj

Au final, ce dossier réussit l’exploit d’apporter moins au débat qu’une simple collection/traduction des meilleurs articles sur le sujet. Il illustre la pauvreté de la réflexion du ministère français de la santé quand on la compare aux analyses rigoureuses et chiffrées d’autres institutions (OMS et OCDE par exemple). Les “déserts médicaux” sont des problèmes complexes présents dans tous les pays développés et qui nécessiteront des solutions couteuses (OCDE 2014). Ils sont la résultante de pénuries qui été pour la plupart organisées entre 1985 et 2005 (Québec, Norvège, France…).
Demander aux gouvernants de résoudre la situation, c’est espérer que le pyromane éteigne son propre incendie.

 

8 Commentaires
  1. CUVILLIEZ 2 ans Il y a

    Je suis toujours admiratif de la qualité de réflexion du syndicat UFML, d’autant plus en comparaison des autres, y compris MG France.
    Je fus Médecin de Montagne en station de ski et toutes mes conclusions vont de paire avec celles de l’UFML ( effondrement des honoraires techniques ayant abouti à une baisse de 50% environ de mon revenu par actes chirurgicaux, d’imagerie, surcharge croissante des contraintes administratives).
    Seul l’UFML a clairement identifié ce problème et se bat pour le résoudre

  2. LINKA ANDRE 2 ans Il y a

    Bonjour, je suis MG à la retraite depuis le 01/01/2022, et ex maître de stage avec une dizaine d’étudiants médecins formés par mes soins dans mon cabinet. Je suis le 16ème médecin à ISTRES à prendre la retraite sans trouver de successeur! Notre maire construit à tout va, la population ne cesse d’augmenter mais il n’y a plus de médecin dit « Traitant ». Pourquoi? Les causes sont nombreuses et il faudrait des heures pour expliquer pourquoi une profession fantastique comme celle de médecin libéral de ville n’attire plus personne alors qu’il y’a 30 ans les jeunes médecins fraîchement diplômés se battaient et étaient prêts à payer pour prendre la suite d’un confrère qui partait à la retraite. En attendant on bouche les trous avec des médecins étrangers! Nous avons eu une réunion avec le sous préfet au moment où le gouvernement voulait « mutualiser«  la Carmf en pompant les milliards accumulés par notre profession pour boucher les trous du régime commun! La secrétaire du sous préfet a pris des notes! Motus et bouche cousue! Mépris? J’ai beaucoup de choses à dire mais pas bonnes à entendre!

    • Scared 2 ans Il y a

      Exact. Mais nous sommes dans un dictatorial de fonctionnaires enarques. Courage, fuyons.

  3. Mika 2 ans Il y a

    Excellent article, précis et argumenté
    Notre problème est que la position de ceux censés nous défendre est idéologique: elle conduit maintenant à un état d’esprit qui fonctionnarise tous les jeunes.
    Au lieu de valoriser notre profession et la valeur de l’acte, on tend dramatiquement vers la capitation … Quand l’hôpital était payé au forfait et la ville à l’acte, tout marchait bien … et puis des sachants sont venus dire qu’il fallait rémunérer l’hôpital à l’activité et la ville au forfait … et voilà le résultat !

    • Scared 2 ans Il y a

      Merci, MGFarce. Ils ont tout corrompu, et continuent.

  4. weiller 2 ans Il y a

    la meilleure solution , est celle que nous avons proposé depuis plus d’un mois , normalement tous les syndicats sont au courant :
    supprimer ou alléger considérablement les cotisations C. A. R . M .F des médecins retraités qui seraient beaucoup plus incités à prolonger leur activité dans un cumul emploi- retraite devenu enfin gratifiant
    la petition officielle est sur le site de l’assemblée nationale , allez tous la signer (France Connect facile par améli ). soyez nombreux : il faut 100000 signatures !!!!

  5. RETOURNE NIZET 2 ans Il y a

    laissez libre les MG qui le souhaitent à faire plus de 20% de leurs actes en téléconsultation, cela soulage et règle bien des problèmes de bobologies, anxiété, renouvellements, dermato de base, bilans, malades coincés chez eux( lumbago, fièvre, virus, éloignement, transport, etc). Rien ne remplace un bon examen évidemment, et tout ne peut se gérer, bien sûr.
    Je dis quoi à mon patient qui me demande une visio en urgence le vendredi pour une cystite, que je suis hors quota et qu’il aille aux urgences ou attende le mois prochain ??
    La visio à pourtant fais la preuve depuis deux ans de son efficacité et des économies quelle permet de faire. Un bon outil avec de bon artisans avec de la bouteille, cela ne doit pas être contraint. J’ouvre mes visio aux nouveaux patients, à ceux qui ne trouvent pas de MT ou bien pas dispo, et ils sont bien soulagés. Je fais le tris des profiteurs, comme au cabinet, et j’oriente les urgences, comme au cabinet, je prends le temps d’écouter et de poser les bonnes questions, comme au cabinet, et cela traite 95% des besoins.
    laissez nous exercer librement ou bien forcez ceux qui ne font pas de visio à en faire 2O% …
    Bon courage à tous

    • Scared 2 ans Il y a

      Surtout, en Macronie, il faut defiscaliser les heures au delà de 35 hebdomadaires, comme pour le peuple. Sinon, libéraux victimes, des, énarques

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