La loi de modernisation de la Santé a, fait historique, fait l’unanimité d’une profession contre ses orientations politiques et économiques :
Perte d’indépendance des médecins désormais sous la dépendance d’un lien financeur/financé au sein du Tiers Payant Généralisé, atteinte au secret médical avec l’ouverture et la diffusion des données des patients au marché, désengagement de la Sécurité sociale et augmentation du rôle et de la place des assurances complémentaires dans le remboursement …Nous avons de nombreuses fois exprimé ces conséquences directes …
Et si l’on élargissait la focale, et si l’on prenait de la hauteur, et si on essayait de comprendre ?
Bref, si l’on essayait de regarder l’espace et le temps sans limitation, et de rapprocher les bouleversements politiques, économiques et scientifiques qui impactent la médecine et vont profondément la changer aujourd’hui, demain, après-demain…
D’abord relever un fait qui contient une part de la problématique :
La médecine n’est plus le domaine où les progrès sont les plus rapides, le leadership de la liberté d’action face aux règles des sociétés a été perdu.
Ce leadership existait parce que le rythme des progrès obligeait la société à s’adapter à la médecine, la justice elle-même, plus lente, suivait.
Cette course en tête se produisait sur un socle éthique qui maintenait l’humain au centre des préoccupations. Un socle éthique suffisant pour stopper ou dénoncer quelques débordements ou expériences folles.
Les alertes trouvaient relais auprès des politiques. Le rythme des progrès, leur lien étroit avec les modèles de société permettaient encore la réaction dénonciatrice, parfois réparatrice.
Puis, la médecine perdit son leadership.
Le numérique en quelques années allait renverser une constante sociétale et faire apparaître de nouvelles puissances dont le développement continu allait leur permettre de s’affranchir des règles politiques, économiques, sociales et scientifiques …
Nous y sommes …
Parmi elles, les GAFA, Google Face Book, Amazon, Apple investissent des centaines de millions de dollars dans la recherche médicale, dans la récupération et l’exploitation de données, toujours plus importantes, exposées plus ou moins volontairement par une population toujours plus connectée. Ils investissent aussi dans la mise en place de super-serveurs seuls à même de regrouper ces données et demain les données génomiques de chacun d’entre nous.
Les GAFA devenus de véritables états virtuels entendent orienter la médecine et par là-même orienter l’humain, orienter le monde. Le transhumanisme, l’”homme augmenté” par les NBIC (Nano Technologies, Biotechnologies, Informatiques et sciences Cognitives), nouvelle religion de leurs dirigeants, chefs d’état sans Etat, s’affranchit de toute règle.
Engagés dans une course dont le rythme ne connaît pas de précédent, les GAFA réinventent un monde qui échappe aux normes politiques, économiques, sociales et sanitaires établies par nos sociétés.
Le vieux monde peine à réagir et la vitesse des progrès engagés, leur complexité, et l’abolition des frontières inhérente, semblent les écarter des préoccupations des responsables politiques de nos sociétés.
Présents partout, connectés au plus grand nombre, impactant les vies, ils grandissent pourtant chaque jour …
Rétrécissons la focale….
En France la loi de modernisation de la Santé, précédée de la loi sur les réseaux de soin, de l’accord national interprofessionnel et de la création de contrats responsables, a favorisé et développé le marché au sein du secteur sanitaire.
Là encore l’éthique, socle d’équilibre du système, est écartée au profit de la logique économique. Une logique qui privilégie l’intérêt collectif à l’intérêt individuel (logique et éthique médicale).
Une logique de marché qui, elle, privilégie l’intérêt du financeur à l’intérêt du financé.
Le médecin voit son indépendance et sa liberté de pratique mises à mal par le lien financeur/financé. L’intérêt du soin délivré s’oppose à celui du cadre économique décidé dans une logique qui n’est pas la logique médicale.
Elargissons la focale :
Les réseaux de soin, structures commerciales, sont développés et magnifiés par les responsables politiques actuels comme outil de baisse des coûts.
Leur action sur les pratiques médicales des médecins ou des soignants inclus dans ces structures est donc implicitement reconnue.
Ces structures, dirigées par des groupes assurantiels, regardent vers les GAFA et pensent NBIC.
Elles pensent à l’accès aux données de santé de leurs cotisants, volontaire ou forcé (aux cotisations libres ou imposées par l’ANI), qui leur offre une garantie de solvabilité. Ces structures rêvent aux applications des NBIC.
L’étude du génome des salariés proposée par Kalivia, filière santé de Malakoff Médérik, à des fins de gestion du risque en entreprise, concrétisation de la logique de marché et de l’abolition de l’éthique, lie les choix sanitaires français au pouvoir des GAFA.
A chaque étage son marché…
Les données génomiques aux mains des GAFA seront exploitées par le marché. En France, du rôle de financeur et d’organisateur du soin, le marché (assureur complémentaire demain majoritaire) à son tour et à son échelon, comme les GAFA, prendra un rôle politique, social et économique par le savoir acquis sur l’individu.
Les GAFA et les autres empires numériques demain propriétaires des données de chaque individu au savoir et à l’expansion sans limite, impacteront les États et les hommes…
Rétrécissons la focale.
Le médecin, animal éthique, disparaîtra-t-il ? Le patient, individu par essence unique, deviendra-t-il simple objet de rapport ?
L’un comme l’autre, seront-ils demain prisonniers de la logique marchande ? Ou le réveil de chacun face au champ des possibles et la prise de conscience de la nécessité de consolider le socle éthique dans sa dimension nationale et internationale permettront-ils de construire un avenir où les progrès préviennent les dérives ?…