Lettre ouverte à Mme Marisol Touraine, ministre de la Santé, des affaires sociales et des droits des femmes

Jerome Marty

Jerome MartyLettre ouverte à Mme Marisol Touraine, ministre de la Santé, des affaires sociales et des droits des femmes*

Mme La ministre vous avez fait le choix de construire une loi de Santé sans les médecins et, à plusieurs reprises, vous avez eu comme réponse à cette remarque factuelle : « il s’agit d’une loi pour les patients ». Comme si construire une loi pour les patients se devait de reposer sur la mise à l’écart des médecins dans sa conception.

Cette erreur est à l’image de ce qui restera comme la méthode « Touraine », une politique où la concertation est organisée pour l’image et la communication, sans jamais être réelle. Une politique où l’écoute s’efface sous le dogmatisme et l’intérêt politique du moment. Une politique où le mensonge et la manipulation construisent les nécessités à légiférer (renoncement au soin pour motifs économiques, honoraires complémentaires, à l’impact volontairement exagéré voire caricaturé) où le mépris des médecins est chaque jour vérifié.

Ce mépris qui a construit la loi de Santé et mépris cent fois utilisé, cent fois incarné au point de faire un tout de la loi et de la fonction, et de faire naître la loi Touraine.
Ce mépris, les médecins vous le reprochent, comme ils vous reprochent tant de choses.

Les médecins vous reprochent de ne pas oser les nommer et d’user du terme ″professionnel de santé″ en lieu et place du titre durement acquis qui qualifie leur exercice.

Ils vous reprochent de ne jamais les considérer autrement qu’en éléments de filières, de réseaux, objets interchangeables, masse collective, sources de dépenses, sources de problèmes.

Ils vous reprochent de les salir par des éléments de langage fournis par des cohortes de jeunes larbins énarques, sans expérience de la vie réelle. Médecins qui ne se forment pas, médecins qui prescrivent trop et mal, médecins responsables d’inégalités sociales en santé, médecins responsables des déserts médicaux, médecins trop nombreux, pas assez nombreux, médecins nantis, médecins suspects de racisme…

Ils vous reprochent de construire une politique sans vous arrêter une seconde sur la réalité du système sanitaire français que dès lors vous participez à détruire, complétant avec une expertise encore jamais atteinte les délires énarchiques, idéologiques et dogmatiques de la maîtrise comptable et de la loi HPST.

Ils vous reprochent de mentir aux Français, Mme Marisol Touraine, de mentir à chaque instant, et c’est précisément de ce mensonge érigé en ligne politique que naît le mépris.

Vous mentez sur les rémunérations des médecins dont tout le monde en Europe s’accorde à dire qu’elles sont indécentes ; sauf vous Mme Marisol Touraine.

Vous mentez sur le renoncement aux soins sur lequel vous avez construit votre projet de loi, un renoncement qui en France est de 5,5 % contre 6,4 % en moyenne pour l’Europe et pour raisons financières de 1,9 % en France contre 2,2 % en Europe.

Vous mentez sur les motifs de renoncement, liés en premier lieu aux distances médecins / patients et aux délais de rendez-vous.

Vous mentez sur les compléments d’honoraires, rebaptisés ″dépassements″, que vous voudriez voir disparaître, alors qu’ils n’existent que parce que vous maintenez les tarifs opposables au plus loin de la réalité des pratiques. Mensonge économique, toute restriction de ″dépassement″ s’accompagnant d’une forte hausse de l’activité des médecins… « les médecins sont notoirement sous-rémunérés mais si on les rémunère mieux ils verront moins de monde » avait dit un grand commis de l’Etat transfuge d’AXA, retourné depuis au privé avec votre bénédiction.

Vous mentez sur le but de votre loi, présentée comme une loi construite autour des patients. Une loi de progrès social, alors même que vous allez livrer patients et médecins aux mains des assureurs privés et à la surveillance et l’encadrement d’ARS désormais aux pouvoirs sans limite.

Vous mentez lorsque vous parlez d’accès aux soins facilité, alors que votre loi ouvre la porte au désengagement de la Sécurité sociale, à l’entrée de la médecine dans les réseaux de soin fermés, et des patients dans un système contraint préparé par la loi Leroux.

Vous mentez aux patients Mme Marisol Touraine, et c’est encore plus grave. Vous leur promettez plus de transparence et vous créez une base patients. Dès lors, ce qui était un échange confidentiel entre le patient et son médecin traitant, devient un flux de données plus ou moins sécurisées migrant du patient à l’ensemble des acteurs du système, fussent-ils soignants ou assureurs, au travers de supports virtuels mais multiples.

Vous mentez Mme Marisol Touraine, et vous ne connaissez rien au soin, rien au métier de médecin, rien à ce qui fait l’essence même de notre engagement.

Vous mentez quand vous prétendez que le secteur libéral n’intéresse plus les jeunes alors que vous avez, comme vos prédécesseurs, par vos actes, réfléchis ou irréfléchis, détruit nos métiers, les rendant par leurs tarifs, leurs responsabilités, leur pénibilité, leurs liens délétères avec une administration en déni de réalité, pour longtemps repoussants.

Vous mentez et avec cynisme vous transformez les conséquences de vos actes en causes et vous faites porter ainsi sur nos professions la responsabilité d’une situation que vous avez construite.

Il y aurait bien d’autres choses à dire, bien d’autres choses à écrire tant en deux ans vous avez détruit toute relation de confiance avec nous, médecins.

Nous, médecins, qui chaque jour sommes en contact direct avec une société qui n’est plus que colère ou résignation.

Nous qui, au sein de nos cabinets, croisons les joies et les détresses, nous qui nous confrontons aux souffrances, à la misère, aux douleurs insoutenables. Nous qui apaisons, qui soulageons, qui guérissons ou accompagnons, nous qui soignons souvent, qui doutons toujours, nous qui, plus que vous ne le saurez jamais, savons les Français.

Nous, indispensable et dernier ciment sociétal que vous ne respectez pas, que vous ne respectez plus.

La rupture est consommée les médecins et les soignants ne cesseront de se lever . Votre loi s’attaque à notre ADN, notre socle, nos valeurs. Votre loi déchire le serment que nous avons prêté, supprimant notre liberté de pratique volant notre liberté de soigner, et, crime insoutenable, condamne le secret médical sans même un procès en place publique.

Mme la ministre, les médecins, les soignants se lèvent pour leur liberté de soigner, pour celle des Français d’être soigné, contre une médecine aux ordres de l’Etat et des organismes payeurs,
Ils n’acceptent pas de vous laisser casser le système solidaire qui fait l’honneur de la France pour un système étatisé et marchandisé sans que le consentement éclairé des Français.
Les médecins et les soignants en conscience et en responsabilité se lèvent contre votre loi, afin d’éviter ses dérives et ses drames.
Ils en appellent au président de la République, ils en appellent à la sagesse de la magistrature suprême, ils demandent l’arrêt du processus législatif en un moratoire, et l’ouverture d’Etats généraux de la santé au sein d’une grande conférence nationale de santé désormais au centre de l’avenir du système sanitaire.
C’est le seul choix qu’ils offrent au gouvernement, ils ne reculeront pas .

Recevez Mme la ministre, l’expression de ma sincère considération pour votre fonction.

Dr Jérôme Marty président UFML

(* cette lettre avait été écrite au mois de février 2015, la fin a été légèrement remaniée)

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