Lettre à Madame Buzyn – Madame la Ministre : « La priorité ne doit plus être la revalorisation des actes. »

Madame la Ministre,
« La priorité ne doit plus être la revalorisation des actes. » (télécharger la lettre en pdf ici : Lettre UFML à Mme Buzyn – 08 sept 2017

C’est par ces mots, que vous avez prononcés au congrès des URPS à La Baule le 1er septembre 2017, que je débuterai mon intervention.

Ces mots reflètent l’échec de plus de trente années de gouvernance sanitaire.
« La priorité ne doit plus être la revalorisation des actes. »

Comme nous le rappelle l’INSEE, la valeur de l’acte de base en médecine générale était en 1984 de 75 francs, soit 11 euros, ce qui équivalait en euros constants à 22 euros en 2016. En 33 ans la valeur du C n’a donc en fait progressé que de 3 euros. La consultation du médecin généraliste, à 25 euros en 2017, est toujours en euros constants égale à sa valeur de 2002, soit il y a … 15 ans.

En trente ans, le tarif de l’acte consultation en médecine générale a augmenté de 4.5 %, alors que dans le même temps l’augmentation du SMIC horaire a été de 36 %.

A la lumière de ces chiffres, il n’est pas abusif de dire que depuis plus de trente ans la priorité n’a jamais été à la revalorisation des actes !

Et cela est valable, globalement pour toutes les professions du soin, tous secteurs confondus !
Avec un revenu moyen de 83 000 dollars le médecin généraliste français est au plus bas de la moyenne des pays leaders économiques de l’Europe (177 000 dollars en Allemagne). L’acte de base en médecine générale est à 25 euros, lorsqu’il est à 50 euros en moyenne en Europe.

Déclarer « La priorité ne doit PLUS être et non La priorité ne doit PAS être  » est donc au mieux une preuve d’ignorance des choix politiques sanitaires passés, au pire une volonté de masquer leur réalité.

Pourquoi ces mots reflètent-ils l’échec de plus de trente ans de gouvernance sanitaire ?

Parce qu’ils sont l’expression de l’isolement volontaire du système politico-administratif.   Qui a décidé cela ? Sur quels critères ? Sur quelles données?                                                                                                          Imagine­‐t’on un seul instant le ministre du travail annoncer : « La priorité ne doit plus être aux revalorisations des salaires », nous allons trouver de nouveaux modes de rémunérations, basés sur l’efficience, la qualité, le travail en équipe, nous allons forfaitiser une part de votre activité, etc. ?

Personne n’oserait.
Mais avec les médecins, avec les soignants … Si.

Ces mots reflètent la volonté d’écarter, ou de minorer jusqu’à son invisibilité, le fait que le paiement à l’acte puisse être plus qu’un simple mode de rémunération pour ces soignants qui ont en conscience choisi le secteur libéral, et que cela a pu peser dans ce choix.

Ces mots reflètent la structure pyramidale de la pensée autoritaire.

Le fait que le directeur de l’assurance maladie Nicolas Revel a, lors du même congrès, prononcé quasi la même phrase « la priorité ne peut plus être la revalorisation de la valeur de base des actes » ne peut être un hasard. Cela tend à démontrer que la loi de modernisation de la santé -­‐ qui a fait de l’assurance maladie un organisme en charge de veiller à l’application des décisions de l’état -­‐ s’applique, plus que jamais, en une continuité réelle.

Et le problème est bien là.

Rien dans vos déclarations, Madame la ministre, ne montre un abandon des lois, décrets ou avenants votés sous le gouvernement précédent.

Le ton certes a changé, mais les faits sont là.

Aucune révision des contrats responsables n’est annoncée.
Face à la hausse organisée du reste à charge par un plafonnement politique de la hauteur des honoraires complémentaires, les Français ont pour seule solution les sur-­complémentaires.
Les réseaux de soin ne sont pas dénoncés, et les assurances complémentaires n’ont de cesse que de chercher à les développer, aidées dans leur communication par nombres de responsables politiques et institutionnels.
La politique de favorisation et d’enrichissement des grandes assurances complémentaires se poursuit…

ANI, réseaux de soin : une santé low cost se développe, loin des idées de solidarité, d’égalité et de liberté qui définissent la France.
La loi de modernisation de la santé est à ce jour intacte, et son article 1 donne les pleins pouvoirs à l’état sur la politique de santé, ses orientations, l’organisation du système et le choix de son financement.
Le règlement arbitral et la baisse tarifaire autoritairement imposés respectivement aux dentistes et aux radiologues signent son application.

Nous vous avons entendu annoncer un Tiers payant généralisable, après quelques atermoiements. Etait-­‐ce le reflet d’un manque d’assurance face à un sujet éminemment politique?
Vous avez diligenté une étude de l’IGAS sur la faisabilité du TPG, étude pourtant déjà réalisée par la même entité, sur le même sujet.
Vous avez annoncé un Tiers payant de droit pour tous les Français, facultatif dans son application…

Je le dis de façon claire et posée, nous n’avons pas confiance.

Dès 2012 nous avons alerté sur les risques d’utilisation politique et économique du Tiers payant généralisé du fait du lien de subordination ainsi créé entre le médecin et l’organisme payeur par la loi devenu organisateur du soin. Mme Brigitte Dormont économiste à Paris Dauphine, lors d’une désormais célèbre intervention sur France culture, nous a donné raison.
Nous assistons aujourd’hui à la même justification de la nécessité du Tiers payant : le renoncement au soin de quinze pour cent de Français en dessous du seuil de pauvreté. Vous avez raison, ce n’est pas admissible.
Ce n’est pas admissible que plus de dix millions de Français soient sous le seuil de pauvreté et c’est une urgence que de réformer le pays pour mettre un terme au scandale du seul pays dont la crise est endémique, crise dont nous soignants ne sommes en rien responsables.

L’UFML défend un Tiers payant social et libre, qui s’ajoute à celui pratiqué de fait pour les bénéficiaires de la CMUc, des ACS ou de l’AME. Tiers payant social dont l’honneur de la France doit être de diminuer sa proportion, années après années par réduction de la misère sociale et non la recherche de son extension par incapacité à résoudre la crise.

Nous savons une loi rectificative ou une nouvelle loi de santé possible afin de modifier l’application du Tiers payant.
Nous vous demandons d’aller plus loin et de supprimer les atteintes au secret médical présentes au travers du Dossier Médical Partagé et de la base de données patients, dont l’exploitation pour d’autres intérêts que le soin est favorisée par la loi.

Madame la ministre, si votre politique se résume au développement d’une politique globale de prévention, au doublement des maisons de santé pluri-professionnelles, et au service sanitaire, vous ne résoudrez pas la crise.
Après trente années d’échecs, et cinq années de sabotage du secteur sanitaire, la France -­‐ rétrogradée au quinzième rang des système de santé en 2016 -­‐ ne peut attendre cinq années de plus sans vrai réforme, construite sur la confiance, l’écoute et la responsabilité des acteurs.

Ainsi, nous n’avons pas besoin de murs, mais d’attractivité de nos professions.

Alors que nos tarifs sont déconnectés de la réalité des pratiques, rôles et responsabilités de nos professions, nous n’avons que faire que la rémunération, je cite : « évolue en y introduisant des notions de qualités et de pertinence des soins ».

Pour qui nous prenez vous ?
Nous avons la prétention de croire que la médecine, le soin que nous rendons, quelles que soient nos professions, sur tout le territoire, est une médecine de qualité, dont la fragilisation de l’exercice est lié aux choix politiques qui ont été faits : gestion du numérus clausus, dispositif de retraite anticipé, blocages tarifaires, charges sans cesses augmentées, normes imposées et non financées, temps de non soin toujours plus conséquent, etc.

Nous n’avons pas de garantie à donner.
Vous avez, vous, le devoir de renouer la confiance, et cela passe par le respect de ceux qui donnent le soin sur tout le territoire.
Vous avez commencé à le faire, il faut aller beaucoup plus loin.
Nous sommes soignants, responsables devant plus de juridictions que toute autre profession, nous prêtons serment, nous sommes régis par différents codes dont un code de déontologie, nos actes sont tracés, transparents, et l’immense majorité d’entre nous fait de la qualité et de la pertinence des soins une évidence. Nous n’avons aucun marché à passer avec la nation, notre engagement est un choix et notre responsabilité est entière et revendiquée.

Vous déclarez « Nous devons changer la façon dont nous délivrons les soins » pour amplifier la logique de parcours coordonnées, l’exercice en équipe, et le renforcement des liens entre les acteurs des prises en charge.
Vous annoncez la création d’un fond dédié aux projets innovants. C’est flou, non chiffré, et probablement insuffisant. Soit le besoin est immense, et justifie alors son importance, mais ne pourra être financé, soit il est anecdotique et il ne résoudra en rien les difficultés de nos professions.

Nous vous alertons ici sur les dangers d’un exercice subventionné.
Dans ce type d’exercice, l’état est maître d’œuvre, et les premiers projets qui ont valeur d’exemples sont les premiers servis : « Le premier levé s’habille ».
Dans ce système, la multiplication des projets peut aboutir à l’effondrement des subventions. Par ailleurs ce système favorise les groupes financiers, dont les soignants sont salariés ou intégrés aux seins de réseaux, et qui sont outillés et dimensionnés pour chasser la prime.
A terme la médecine marchandisée et low cost se renforce. Nous ne voulons ni d’un système comptable de rémunération ni d’une santé low cost, et vous ne pouvez nous garantir l’absence de risque de l’une ou de l’autre.

Vous portez une révolution de la prévention et nous ne pouvons qu’y souscrire et saluer cette volonté de développer le parent pauvre de notre système de santé.
Comment allez vous la financer?
Promouvoir la santé mentale, prévenir les maladies infectieuses, améliorer la prévention de la perte d’autonomie, lutter contre les addictions, améliorer le dépistage et promouvoir un environnement et des conditions favorables à la santé sont de vraies nécessités. Mais elles vont des années durant s’ajouter à nos pratiques actuelles, et ne vont en rien effacer tout un pan de celles ci pour les remplacer.
Les bénéfices sanitaires et économiques de la prévention ne seront pas immédiats et c’est bien en termes d’addition et non de soustraction qu’il faudra compter les premières années.
Au sein de l’ONDAM, comment allez-­vous financer la prévention ?
Il ne peut être question de justifier le blocage tarifaire des actes par des leviers conventionnels sur la prévention. L’activité de prévention viendra en sus de l’activité curative, elle ne peut donc justifier son blocage tarifaire ! Au delà de la question économique, il y a la question humaine. Alors que les professionnels de santé libéraux s’épuisent et ne peuvent faire face à la demande en soin, ou trouverez vous les acteurs disponibles pour cette activité longtemps encore surnuméraire ?

L’urgence n’est elle pas d’abord à l’homme soignant ?
L’homme avant l’idée politique, le dogme ou l’idéologie, parce que l’homme c’est tout.
Pour avoir oublié cette simple évidence -­‐ la médecine c’est l’homme et l’homme est médecine -­‐ nous sommes arrivés au drame d’une médecine construite sans les médecins qui engendre peu à peu une France sans médecins.
Cinquante-deux pour cent de médecins généralistes en burn out ou à risque de burn out, des taux de suicides qui ont rejoint ceux des agriculteurs à deux fois et demi fois la moyenne nationale, des drames chez les infirmières, les dentistes, les pharmaciens. Des fermetures quotidiennes de cabinets, de pharmacies, de laboratoires, des installations retardées par l’incertitude de l’avenir, un poids du risque plus lourd que l’attractivité, un dés-­aménagement du territoire, des postes vacants toujours plus nombreux à l’hôpital public et en libéral, etc.
Face à cet effondrement, la multiplication des diplômes étrangers et la favorisation de l’exercice partiel chez nos confrères retraités, pour prolonger la danse…
Une politique à la « encore une minute monsieur le bourreau. »

La réalité est là, brute, et froide comme l’échec : La France n’a plus les moyens de ses ambitions, parce que la France refuse le courage d’une vraie politique sanitaire.

Donner à la France les moyens de ses ambitions en matière sanitaire, c’est faire le choix d’une vraie politique de santé.
Faire le choix d’une vraie politique de santé, c’est reconnaître la place des soignants, les considérer, les respecter et les faire respecter, être à leurs cotés dans les bons et les mauvais moments. C’est rappeler la nécessaire indépendance du soin face aux pressions politiques ou économiques, face au marché.

Avoir le courage d’une grande politique sanitaire, c’est savoir peser les urgences, miser sur l’homme, en une vraie politique de relance économique de nos professions, pour que la France ne soit plus ce pays où la médecine donne encore belle image, mais ou le vernis partout craque sous le mépris subi par les soignants.

Madame le ministre, la confiance ne se décrète pas, elle se gagne.
Par la reconnaissance du rôle sociétal, de l’expertise et de la responsabilité des soignants. Par l’entrée pleine et entière des soignants au sein de la gouvernance, aux cotés des patients et de l’administration, sur une même ligne, chacun avec un droit d’opposition, un droit de blocage.
La médecine de demain ne peut se construire sans le savoir, l’analyse et l’acceptation de chacun de ses acteurs : ceux qui font le soin, ceux qui sont le soin, ceux qui vivent le soin.

La démocratie sanitaire doit être le socle de la politique de santé, et ce, à tous les niveaux. Il n’est plus concevable que les directeurs d’Agences régionales de santé ou d’Assurances maladie soient trop souvent au final seuls décisionnaires : il est temps de mettre fin à ce paternalisme d’état.
L’UFML vous a adressé dès votre nomination sa note de synthèse où nous vous exposons nombres d’axes et de propositions.

note de synthèse: problématiques et propositions pour la santé

Face à la multiplication des déserts sanitaires et des zones en voies de désertification, il n’est qu’une urgence : écrire ensemble l’architecture du système de santé de demain. Cela passe par une modification totale du paritarisme, et du champ conventionnel.
Les rendez-­vous paritaires et conventionnels doivent être multipliés, pluriannuels si nécessaire, afin de s’adapter à la révolution médicale en cours qui impactera les pratiques et l’organisation de la profession.
Les discussions relatives au PLFSS ne doivent plus ignorer les représentants des soignants et des patients.

Les jeunes et leurs représentants doivent être intégrés partout où se construit le système sanitaire, partout où s’organise la profession. Ils sont l’avenir de la profession, ils vivront cet avenir, ils doivent avoir droit de vote et de décision sur leur avenir, sans quoi la médecine libérale sera toujours cette pyramide inversée, avec un sommet large et vieillissant, et une base jeune et incertaine face à demain.

Le syndicalisme médical doit être changé et libéré de toute influence de l’État, du monde assurantiel ou de l’industrie pharmaceutique, de tout lien financier, de tout conflit d’intérêt.
Favoriser un syndicalisme fort et libre, c’est là encore oser tourner le dos au paternalisme d’État, pour instaurer une vraie démocratie sociale.

Construire une vraie réforme sanitaire…

C’est regarder l’avenir, sans crainte, sans fuite.
La révolution technologique, les NBIC, la génomique, la médecine algorithmique, l’Intelligence Artificielle, vont révolutionner la médecine, et impacter nos sociétés sur les plans éthique, philosophique, économique, politique.
Les études médicales doivent, dés maintenant, s’ouvrir à cette révolution et l’appréhender sous tous ses axes, afin que les médecins de demain soient les maîtres et non les outils de cet avenir.

C’est lancer une enquête avec la représentation soignante sur le coût réel et les apports de richesse pour la nation de chaque profession soignante, tenant compte de tous les paramètres : études, hard skills, soft skills, tarifs, charges, pénibilité, durée de vie professionnelle, retraite, etc. afin de définir un indice de traitement par la nation de chaque profession du soin par rapport à la concurrence européenne.

C’est faire de la gériatrie, et du prendre soin des patients âgés, une filière d’excellence dans toutes ses composantes, dans toutes ses professions. Ceux qui s’engagent aux cotés de nos aînés (Aides-­soignantes, infirmières, kinésithérapeutes, médecins, etc.) doivent être reconnus, considérés, valorisés.

C’est lancer une grande mission d’analyse, la plus précise possible, de l’avenir, dans tous ses paramètres, afin de permettre l’émergence, le développement et l’utilisation des nouvelles technologies sans jamais oublier l’homme.

C’est enfin, en urgence, tout mettre en œuvre pour empêcher le scandale annoncé du système de retraite des médecins libéraux, dont le modèle économique est sabordé par les conséquences des choix politiques sanitaires passés et présent (sous-­évaluation tarifaire, baisse du nombre des cotisants, augmentation du nombre des retraités).

Madame la ministre, l’UFML a fait le choix de se transformer en syndicat pour porter ces grandes idées, pour construire un nouveau syndicalisme, de médecins, bien sûr, mais plus encore.
Parce que l’UFML porte en elle l’union des professions du soin, elle reste également une association pluri-­professionnelle, tant la défense comme la construction des professions du soin ne peut se concevoir qu’unitaire et trans-­sectorielle.

Vous ne pourrez pas agir seule.

Depuis trente ans les ministres de la santé, quelle qu’ait été l’importance de leur magistère, ont tous misés sur la puissance administrative, pensant la médecine comme mesurable et paramétrable, et les soignants comme des outils obéissants.

Les dégâts sont immenses et la catastrophe sanitaire possible.

Nous vous demandons du courage, de l’audace, comme nous demandons aux professionnels du soin de prendre la mesure de la responsabilité qui leur incombe sur l’avenir du système sanitaire Français : de ne pas accepter l’attentisme, les fausses solutions ou la communication, mais, en conscience, de provoquer demain.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Dr Jérôme Marty, Président de l’Union française pour une médecine Libre 

J’adhère à UFML-Syndicat ici

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