J’étais juste venu soigner …

J’avais bossé le concours le plus dur, j’avais échoué, je m’étais relevé, j’avais bossé encore bossé toujours, j’étais juste venu soigner.

Entre la fac et l’appart, l’appart et la fac, la BU, l’appart, la fac, l’hôpital, la BU , l’appart, mes années étudiantes sont passées.

Rapidement j’ai donné plus que j’ai reçu, les manques à l’hôpital débutaient, et n’allaient que s’aggraver…

J’étais juste venu soigner…

J’ai vu s’étendre le poids du papier, s’épuiser les équipes, augmenter les costards gris, diminuer les blouses blanches, et, au delà des heures, j’ai vu les internes remplacer les docteurs …

J’étais juste venu soigner…

J’ai vu se multiplier les ARS,  grandir l’HAS, fermer les maternités, les cliniques , les petits centres hospitaliers.

J’ai vu grandir les hôpitaux usines et les fonds de pensions tout acheter. J’ai vu l’économie supplanter le soin, et transformer les maîtres d’un savoir en paramètres.

J’étais de ceux là, j’étais juste venu soigner.

Médecin de ville, j’ai vu mes tarifs ne plus progresser, mes charges augmenter, j’ai dû faire face…J’ai augmenté mes cadences alors que déjà nombre de confrères partaient. J’ai vu l’assurance maladie se transformer en censeur absurde et les ARS me considérer déconsidéré, dégradé et simple relai…

J’ai fait face, j’étais juste venu soigner.

J’ai vu les déserts augmenter et les politiques me désigner coupable de leurs actions, j’étais devenu une conséquence vivante, je les ai vu faire de moi une cause.

J’étais juste venu soigner…

J’ai vu les patients ne plus trouver de médecin, les distances et les délais de soin augmenter, j’ai vu grandir la catastrophe, j’ai vu la santé s’effondrer. J’ai vu ma profession attaquée :

«incapable de s’organiser » « prescrivant trop » « coûtant trop » « égoïste, ingrate et corporatiste »

J’étais juste venu soigner…

Il fallait l’organiser, la rendre plus efficiente, changer ses modes de rémunérations, renforcer l’administration, augmenter ses cadences, l’obliger, l’obliger, l’obliger…

J’étais juste venu soigner…

Et puis j’ai vu s’annoncer une réforme des retraites qui lui enlevait son dernier domaine d’indépendance, qui retirait les réserves qu’elle avait accumulées  parce qu’elle s’était adaptée. J’ai vu l’État promettre : « tout allait bien se passer, c’était normal de tout mettre dans le même panier ». Un système où tout le monde cotise ne pouvait être déficitaire et ne pouvait servir de banque où piocher…

J’étais juste venu soigner…

J’avais vu la sécu s’enfoncer de politique sanitaire en politique sanitaire. J’avais vu mes tarifs être encadrés par l’Objectif des Dépenses d’Assurance Maladie dont la progression était votée par le parlement dans le cadre de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale …

J’étais juste venu soigner et j’avais été au centre du sabotage. Je connaissais dès lors tous les travers d’un système étatique, basé sur des points à la valeur votée chaque année par le parlement et liée à l’état économique du pays.

Ils répétaient la même erreur. Après avoir cassé mon exercice, ils brisaient ma retraite.

J’étais juste venu soigner.

Vous avez ignoré jusqu’à l’existence même de mes consœurs et de mes confrères et leur capacité de s’opposer.

Nous étions là avant vous, nous serons là après vous, vous ne ferez pas,  quoiqu’en disent  vos minables gourous, de médecine sans médecins et de soin sans soignants.

Que vous vous arrêtiez, rien ne se passe …

Nous sommes l’indispensable…

Nous étions venu soigner…Il ne suffisait plus de rien pour que l’on s’arrête … il suffisait de vous…

Arrêt d’activité, à partir du 3 Février 2020.

Dr Jérôme Marty

Président UFMLS

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