Le paiement à la performance (ROSP) : le miroir aux alouettes.

brice

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La nouvelle tombe, telle une sentence irrévocable, ce jeudi 21 avril 2016 par la voix de Nicolas Revel, directeur général de l’assurance-maladie : « la ROSP s’est définitivement installée dans le paysage conventionnel. Elle est devenue un levier d’amélioration des pratiques […]. Le principe de son existence ne fait donc plus débat » 1. Et pourtant….

 

Un peu d’Histoire sur le paiement à la performance en France

La ROSP eut un précurseur appelé CAPI (Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles). Ce dispositif, créé en 2009, se faisait sur la base du volontariat. Dès son apparition, ce CAPI fut vivement attaqué par tous les syndicats dits représentatifs ainsi que par l’Ordre. Leur cheval de bataille était : « aliénation de l’indépendance professionnelle, encadrement des prescriptions, conflits d’intérêt » 2

Environ 16000 médecins adhérèrent à ce dispositif (soit environ 30% des médecins généralistes seulement !). Devant cette écrasante minorité d’adhérents au CAPI, l’assurance maladie annonça en 2011, pour les futures discussions conventionnelles, sa volonté de mettre en place un système similaire à ce CAPI mais en l’étendant à tous les médecins avec inclusion d’office.

La ROSP est née, et la plupart des syndicats n’y trouvèrent rien à redire… Un virage à 180° qui devrait nous questionner sur le sens du combat qu’ils avaient alors mené en 2009 !

Pourtant, le CNOM dans son bulletin n°22 de mars-avril 2012 réitéra par la voix de son Président M. Legmann, une nouvelle mise en garde de ce type de rémunération avec les mêmes arguments que ceux de 2009. Legmann précisa : «ce n’est pas parce 97% des médecins optent (finalement malgré eux puisque inclus d’office !) pour ce dispositif que ce dernier est plébiscité ». Et en se demandant tout simplement si ce n’était pas juste une absence de choix (ce dispositif étant alors l’unique moyen d’escompter une revalorisation).

Cette sortie du CNOM ne fut pas du tout du goût de la CSMF et du SML. M. Chassang (Président de la CSMF) et C. Jeambrun (Président du SML) publièrent un droit de réponse. Chassang estima que la ROSP « n’a rien à voir avec le CAPI », et « ne mettait pas en cause l’intérêt du patient »2 tandis que Jeambrun ajouta « les associations de patients n’y trouvent rien à redire » 2. Peut-être aurait-il dû préciser que les associations de patients sont surtout… le CISS, financé à plus de 75% par l’Etat… L’un et l’autre précisant « que les médecins ne pouvaient espérer une revalorisation de leurs honoraires via la hausse des actes de base… »2 Notre sort était-il donc là ?

Nos syndicats s’avouant incapables de faire évoluer dignement la valeur de l’acte de notre profession. Mais pour autant doivent-ils encore un peu plus tuer notre médecine libérale ,libre et indépendante ?

Cette mort lente de la médecine libérale telle qu’elle avait été créée initialement ne doit pas déplaire à MG France. Rappelons que MG France est né en 1986 grâce à des militants issus du SMG (Le Syndicat de la Médecine Générale). Ce dernier prônait dans sa charte de création de 1975 un rejet de la médecine libérale avec une remise en cause du paiement à l’acte, une création « d’unités sanitaires de base » (les dispensaires ?) permettant de pratiquer une médecine « gratuite » (vive le TPG de Touraine alors !). Par sa création, MG France obéit à une double logique : logique d’opposition à la médecine libérale telle qu’elle prédomine depuis la mise en place du système d’assurance maladie français et une logique professionnelle d’affirmation de la spécificité de la médecine Générale3.

 

Quant à la FMF, elle dénonce par la voix de J-Paul Hamon le conflit d’intérêt de cette ROSP mais, comme les trois autres syndicats, elle signe quand même la convention… Pourquoi ?

Le nœud du problème est peut-être donc là : la convention et l’argent conventionnel. Cet argent dont les syndicats ont besoin pour vivre, les cotisations des adhérents ne suffisant pas, à moins que ce soit une insuffisance d’adhésions… (environ 10% de médecins syndiqués). Pour toucher cet argent (dont le montant par an et pendant 5 ans va grosso modo de 300 000 à 1 000 000 d’euros en fonction du nombre de syndicats signataires avec la CNAM) les syndicats sont obligés de ratifier la convention. Cette dépendance et le peu d’adhérents créent un syndicalisme faible qui ne peut alors qu’accompagner la politique de l’Etat !

Toutefois, les médecins pouvaient dans les 6 mois qui suivirent la ratification de la convention refuser d’entrer dans la ROSP en envoyant à la Caisse un recommandé signalant leur refus. Malheureusement, les syndicats n’ont pas été très bavards sur ce sujet…

Actuellement se déroulent les futures négociations conventionnelles. Petit tour d’horizon de la position des syndicats sur la ROSP en 2016  4 :

– J-Paul Ortiz Président de la CSMF a déclaré récemment : «le système de P4P a rempli sa double mission, amélioration de la santé publique et complément d’honoraires », et appelle à « une révision profonde de la ROSP en souhaitant son extension à toutes les spécialités ». La CSMF s’est même fendue d’un twitt le 21 avril 2016 enfonçant  le clou : « ce n’est pas donner des bons points, c’est pour mieux soigner les patients ».

– C Leicher Président de MG France veut une mise à jour tout en précisant que la « ROSP est un mécanisme positif ».

– E Henry Président du SML veut changer la terminologie de la ROSP en faveur de la « Valorisation sur Objectifs Scientifiques » mais en aucun cas la supprimer. Finalement modifier simplement une terminologie revient à qualifier une personne aveugle désormais comme non voyante…

– JPaul Hamon Président de la FMF souhaite « l’abandon de cette rémunération fondée sur des critères obsolètes et incontrôlables ». Mais qu’en sera-t-il de la ratification de la convention ?

Ce miroir aux alouettes proposé aux médecins est donc bien en place et ne fait donc plus débat pour la plupart de nos syndicats représentatifs.

Même les syndicats de « jeunes médecins » que sont le SNJMG et REAGJIR veulent de cette ROSP1. Il est toutefois surprenant de lire dans une récente thèse menée en Ile de France sur le point de vue d’internes à propos de cette dernière que 60% d’entre eux en déclaraient un niveau de connaissance faible ou nul… Et 47% qui ne savaient pas que le P4P avait été introduit en France… Les syndicats de jeunes médecins les auraient-ils mal informés ou oublié de les informer?! Peut-on parler et redouter de véritables formatages de nos jeunes dans nos facultés de nos jours ?!!

Mais alors qu’en est-il de l’efficacité réelle du P4P ?

Le P4P n’améliore pas la qualité du soin ni la satisfaction des patients

Il suffit de se rendre en Grande Bretagne où dans les années 2000, un système de P4P a été instauré par le NHS (équivalent de l’assurance maladie) sous le nom de QOF (Quality Outcome Framework). Ce QOF avait comme ambition d’améliorer les pratiques. Il repose sur plus de 130 indicateurs dont environ 80 indicateurs cliniques. Ce QOF représente 25% du chiffre d’affaire d’un cabinet médical 5.

Après 10 ans de recul, voici ce que l’on constate:

 – une absence des maitrises des dépenses de santé. L’objectif tablait sur une augmentation du budget alloué de la NHS de 41% pour la période 2002-2006. Le résultat final était de 64%…6 Le budget a donc explosé.

– un problème de justice sociale. Certains auteurs rapportent entre 5% à 10%5-6 de patients exclus. Les patients faisant perdre de l’argent aux médecins sont exclus par ce dernier. On appelle cela le «gaming »5.

– pour les maladies chroniques, un risque de délaisser les tâches non rétribuées6 entrainant paradoxalement une baisse de la qualité de la relation médicale (écoute du patient, disponibilité, amabilité,…). Le QOF augmentent la performance du médecin au détriment de la qualité humaine non quantifiable économiquement mais essentielle dans le soin. Le QOF entraîne une déshumanisation du soin, source d’insatisfaction de la part des patients.

– un problème de pérennité du système7 : pour la première fois en 2015 la NHS réduit le budget du QOF…

surtout une amélioration de l’informatisation des cabinets médicaux7 : était-ce ça l’objectif principal du QOF?!!!!!!

Aux USA, un système de paiement à la performance existe aussi. Une étude, comprenant 1549 médecins, a montré que la moitié de ces médecins ressentaient un impact négatif sur la confiance accordée par les patients. Et 80% avaient noté une diminution de leur engagement éthique vis-à-vis d’une prise en charge individuelle loyale de leurs patients.5

Ces constatations sont renforcées par une méta-analyse de Cochrane parue en 2012 ne retrouvant pas de bénéfice sur la qualité des soins et déplorant l’absence de démonstration rigoureuse d’un bénéfice sur la qualité des soins.8 Ceci est confirmé par une autre étude parue en 2013 montrant des résultats mitigés.7

 On peut donc légitimement se poser la question de savoir si « le P4P n’est pas une opportunité pour auditer les pratiques professionnelles ».8     Tout ceci afin de mieux contrôler le prescripteur…

 

Le P4P comme les autres forfaits n’ont d’autres intérêts que d’impacter sur l’organisation des soins avec comme objectif d’individualiser l’acteur de soin, préalable à sa transformation en acteur d’un marché de la santé.8

Actuellement les patients ne perçoivent pas de modifications de leur prise en charge médicale, depuis la mise en place du P4P en France5. Peut-être parce que tout simplement la ROSP et autres forfaits ne représentent « que » 5% à 10% du chiffre d’affaire d’un cabinet médical actuellement. Mais qu’en serait-t-il si la ROSP atteignait un jour 25% du chiffre d’affaires comme en Angleterre ?

Le P4P transforme progressivement le médecin en « chasseur de primes ». La puissance publique contribue à fragiliser les valeurs professionnelles de la médecine où le patient ne serait vu désormais que comme une source potentielle de profit. L’idée simple et simpliste (les médecins sont intéressés, il faut donc les intéresser) pousse les médecins à devenir des marchands ou des traders parce qu’on les invite à le faire.9 La marchandisation du soin est en marche.

Malgré tout, 14 pays de l’OCDE embrayent sur le paiement à la performance dont l’Espagne, l’Italie, les Pays Bas, le Canada, Israël, et l’Australie.5

Tout est fait actuellement pour essayer de limiter l’autonomie du médecin dans ses prises de décision. La ROSP est une partie de la volonté de changer le système.

La généralisation du TPG n’a qu’un but : modifier les flux financiers afin de rendre les médecins totalement dépendants des financeurs permettant de faire pression sur notre profession (Brigitte Dormont économiste a confirmé cette pression désormais faisable sur nous médecins le 18 avril sur France Culture). Le TPG permettra aux financeurs de pouvoir basculer plus facilement sur d’autres modes de rémunérations que l’acte. La ROSP en fait partie et n’a comme unique objectif qu’une limitation supplémentaire de l’autonomie, par volonté d’augmenter la performance du médecin, cette dernière se faisant au détriment de la relation médicale. La déshumanisation, la dépersonnalisation du soin est en marche.

Ce démantèlement progressif du système libéral tient également de la faiblesse des organisations syndicales.

Pourtant, malgré ses défauts, le paiement à l’acte est source de liberté pour le patient et pour le médecin. Cette liberté est garante de l’indépendance du médecin dans le choix de ses actes et de sa thérapeutique pour ses patients. Le paiement à l’acte favorise également l’accès aux soins : en toutes circonstances le médecin a intérêt financièrement à délivrer des soins. Le patient se voit ainsi assuré d’une continuité dans les soins et d’un accès aux soins simple et rapide ; par ailleurs le patient perçoit cela comme des soins de meilleure qualité.5

Si nous ne réagissons pas, le médecin risque de devenir un jour un simple  « effecteur de soins aux ordres » voire de disparaitre.

Va-t’on assister à la scène où des syndicats crieront victoire pour la (revalorisation de notre) profession en signant à nouveau dans cette logique ? Va-t’on nous faire l’affront d’une nouvelle victoire…. à la Pyrrhus ?

 

Bibliographie :

1. Le Quotidien du Médecin du 21 avril 2016 : ROSP, l’heure du bilan ».

2. Le Quotidien du Médecin du 2 avril 2012 : « Rififi médical entre les procureurs et les avocats du P4P ».

3. Hassenteufel P., Davesne A(2013). « Les médecins face aux réformes des systèmes de soins, une mise en perspective comparative France-Allemagne-Suède ». Etude pour l’institut Montparnasse

4. Le Quotidien du Médecin du 25 avril 2016 : « Révision des indicateurs, extension à de nouvelles spécialités. Les syndicats de médecins veulent corriger la ROSP ».

5. Saint-Lary Olivier (2015). « Paiement à la performance et soins primaires : étude des tensions éthiques liées à son introduction ».

6. Da Silva N. « Faut-il intéresser les médecins pour les motiver ? Une analyse critique du paiement à la performance » in La revue du Mauss n°41 Marchandiser les soins nuit gravement à la santé.

7. Communiqué de presse du CNGE du 22 juin 2015. « Quelle performance pour l paiement à la performance ? ».

8. Intersyndicale »Avenir Hospitalier » (2012). « La vérité sur les paiements à la performance ou P4P ».

9. Da Silva N (2013). « Le paiement à la performance en médecine libérale : le médecin comme le trader ? ».

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