J’étais juste venu soigner

Jérôme Marty à 25 ansIl y a 25 ans, je m’installais.

De mon passage à l’hôpital j’avais vu s’étendre le poids du papier, s’épuiser les équipes, augmenter les costards gris, diminuer les blouses blanches, et, au-delà des heures, les internes remplacer les docteurs.

J’étais juste venu soigner.

Puis,

J’ai vu s’installer ARS et HAS, fermer maternités, cliniques, et petits centres hospitaliers, grandir les hôpitaux usines, s’installer les fonds de pension. J’ai vu l’économie supplanter le soin, transformer les soignants en paramètres.

J’étais juste venu soigner.

Médecin de ville, j’ai vu mes tarifs ne plus progresser, mes charges augmenter. Epuisés, des consœurs des confrères, déplaquaient, comme d’autres, face à la demande …j’ai augmenté mes cadences.

J’étais juste venu soigner.

J’ai vu l’assurance maladie se transformer en censeur absurde, les ARS me considérer déconsidéré, dégradé et simple relai…

J’ai vu s’installer le dogme de l’efficience : faire mieux avec moins, faire mieux sans rien,

J’ai fait face,

J’étais juste venu soigner.

J’ai vu les déserts augmenter et les politiques me désigner coupable de leurs actions. Devenu une conséquence vivante, je les ai vu faire de moi une cause.

J’étais juste venu soigner.

J’ai vu les patients ne plus trouver de médecin, les distances et les délais de soin augmenter, j’ai vu grandir la catastrophe, j’ai vu la santé s’effondrer.

J’étais juste venu soigner.

J’ai vu ma profession attaquée, coupable de tous les maux:

«incapable de s’organiser » « prescrivant trop » « coûtant trop » « sélectionnant les patients » « égoïste, ingrate et corporatiste »

J’étais juste venu soigner.

J’ai vu la covid arriver, les masques manquer, les sacs poubelles être distribués.

J’ai vu des consœurs, des confrères, tomber, mourir de soigner.

J’ai vu la colère et la haine sous des délires par trop instrumentalisés.

J’étais juste venu soigner.

J’ai alerté, dénoncé l’état de la santé, le désespoir des soignants

J’ai vu la marée monter, les salaires stagner, les lits supprimés, les services fermés, les bras se baisser.

Les blouses se raccrocher.

J’ai vu ceux qui restent s’épuiser.

J’étais juste venu soigner.

A force de réformes construites sans les soignants et d’économies faites sur le soin, j’ai vu une France se réveiller sans soignants et le système de santé s’effondrer.

J’étais juste venu soigner.

Au bout de 25 ans j’ai vu les plus simples des évidences être oubliées : les économies de santé d’aujourd’hui multiplieront les dépenses de demain, il n’y a pas de médecine sans médecins, il n’y a pas de soin sans soignants.

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8 Commentaires
  1. Benyamin 2 ans Il y a

    Après plus de 40 ans d exercice je baisse les bras , je vais gérer mon départ , écœure , desabusé , démotivé et surtout très inquiet de l avenir

  2. Guy V. 2 ans Il y a

    Après plus de 40 ans d’exercice je me suis arrêté (à plus de 67 ans avant de devenir « un vieux c.. » disais-je en ajoutant que c’était peut-être déjà trop tard !!). Jai fait ce travail avec passion, avec beaucoup d’heures mais aussi une vie personnelle et culturelle plutôt riche, en campagne avec une patientèle agréable (et parfois moins mais quand il y a du monde on peut envoyer bouillir les casse-pied ..!). J’ai diversifié mon activité (une vacation en prévention, investissement à la Fac..) J’ai toujours refusé les oukases des administratifs et ne suis jamais allé en prison . J’ai refusé les contraintes d’objectifs par principe , j’ai perdu de l’argent mais gagné une liberté qui n’a pas de prix ; je suis en retraite et non démuni pour autant. J’ajouterai que si on entendait moins de confrères pleurer il y aurait peut-être plus de collègues qui auraient envie de faire notre travail.

    • sultan 2 ans Il y a

      Tu sais Guy , j’ai connu les urgences avec les afflux de patients à toute heure, le SAMU avec des sorties sans arrêt, sans repos compensateur, sans statut particulier … j’ai fuit cette médecine qui aller me faire crever; j’ai été pH en hôpital, avec un salaire misérable (1500€/mois en 97) pour 60H hebdomadaires et deux gardes par semaine… et sans perspectives autre que de boucher des trous générés par le numerus clausus et l’internat que j’ai vécu. J’ai fui cette médecine hospitalière qui t’éreinte et t’appauvrit. Je me suis installé en libéral depuis 25 ans , j’ai 56 ans , 90 H par semaine et je n’ai qu’une envie … prendre ma retraite à 62 ans ! pour quelle raison ? … si je ne le fais pas , je vais crever de mon investissement, de mon empathie, de ma passion pour la médecine . Philippe .

      • Guy V. 2 ans Il y a

        Je comprends ta fatigue plus que justifiée. J’ai connu l’hôpital au début des années 70 et ce n’était effectivement pas brillant, mais c’était une autre époque (j’ai connu par ex. un mois de garde un jour/deux avec 3h de sommeil et pas de repos compensateur évidemment, ça reste un souvenir …surréaliste !!). Quant à ton activité actuelle j’ai eu la chance d’y échapper (rarement dépassé les 60h , plutôt 50 en moyenne) mais je me suis associé tôt, j’ai pris des internes (il y a la supervision mais c’est presque une détente , en tout cas un « changement d’air » ) et ça m’a permis de souffler et de trouver plus facilement à être remplacé par les anciens stagiaires (encore faut-il leur transmettre la passion du travail et non les assommer avec nos plaintes, d’ailleurs pratiquement tous ce sont installés dans l’année qui suivait la fin de leur cursus). Je sais que ce n’est pas toujours facile ni possible.

    • laporte 2 ans Il y a

      bravo , j ai fait comme vous ! Je suis toujours en exercice et bien sur il faut etre plein d’amour pour exercer ce métier passionnant. Je me suis organisée pour limiter mes heures et prendre plus de temps avec les patients 30 minutes , j ai une qualite de vie meme si je gagne moins que ceux qui font la course à l’acte , je vis quand meme bien et mes patients sont contents de leur prise en charge

  3. Camb 2 ans Il y a

    Très beau texte. Idem. Radiologue 25 ans PH puis privée. Superbe spécialitée mais devenue à vomir pour les à côtés. Hospitaliers , les gros c de l’administration, les astreintes , le moral acidulé des equipes, puis privée avec rentabilite poussée à l’extrême , fonds financiers… 65 ans, stop.

  4. Guy V. 2 ans Il y a

    Je comprends ta fatigue plus que justifiée. J’ai connu l’hôpital au début des années 70 et ce n’était effectivement pas brillant, mais c’était une autre époque (j’ai connu par ex. un mois de garde un jour/deux avec 3h de sommeil et pas de repos compensateur évidemment, ça reste un souvenir …surréaliste !!). Quant à ton activité actuelle j’ai eu la chance d’y échapper (rarement dépassé les 60h , plutôt 50 en moyenne) mais je me suis associé tôt, j’ai pris des internes (il y a la supervision mais c’est presque une détente , en tout cas un « changement d’air » ) et ça m’a permis de souffler et de trouver plus facilement à être remplacé par les anciens stagiaires (encore faut-il leur transmettre la passion du travail et non les assommer avec nos plaintes, d’ailleurs pratiquement tous ce sont installés dans l’année qui suivait la fin de leur cursus). Je sais que ce n’est pas toujours facile ni possible. (réponse à « sultan »)

  5. Cissou 2 ans Il y a

    Yves: j ai connu comme vous le travail à plus de 72h/semaine. Je n ai pas vu mes enfants grandir. Mon épouse souvent délaissée par ma passion mais les papiers et le manque de confrères désabusés et fatigués m a contraint a tout stopper avec un infarctus comme cadeau de ce stress quotidien , j’ai 63 ans et j arrête. Bon courage a ceux et celles qui continuent. YC

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