Les Assises du déconventionnement de l’UFML redonnent espoir à des milliers de médecins ! – Billet du Dr Isabelle Luck

Dr Isabelle LuckOrganisées par l’UFMLSyndicat quelques jours après le refus unitaire par tous les syndicats de signer la nouvelle convention présentée par l’Assurance maladie, l’UFMLSyndicat a réuni les 3 et 4 mars 2023 plus de 1700 médecins dont 700 en présentiel à la Cité Universitaire, boulevard Jourdan à Paris et plus d’un millier en webinaire. 

Sur une journée et demie, les intervenants se sont succédé pour que chacun pèse le pour et le contre de passer en secteur 3. L’exercice libéral en secteur 1, contraint par des conventions successives de plus en plus autoritaires et directives, est devenu source de malaise, voire de détresse chez les installés, et un repoussoir pour les jeunes médecins, en premier lieu les généralistes dont on manque tant. L’échec des négociations et le mépris témoigné par les dirigeants ont été une onde de choc. La motivation des 1700 médecins présents était bien de contourner le piège du secteur 1 dans lequel la convention maintient autoritairement les généralistes depuis plus de 30 ans, et d’échapper aux cadences poussant au soin low-cost à la chaîne, ainsi qu’au risque de déshumanisation de leur mission, d’erreur médicale et de burn-out. 

Ces Assises sont une réussite, tant par l’organisation irréprochable que pour le coup de boost et d’espérance qu’elles ont donné aux médecins, aux jeunes très nombreux à s’être déplacés comme aux plus âgés, tous ébranlés par le cadrage croissant que la caisse impose de convention en convention, épuisés par un rythme de travail au-delà du raisonnable, démotivés faute de reconnaissance et de valorisation, et surtout écoeurés du manque de moyens pour soigner avec conscience, qualité et sérénité. Tous sont désespérés de voir leur magnifique métier se dégrader malgré tous leurs efforts pour compenser les erreurs décisionnelles passées qui ont conduit au désastre sanitaire actuel. Les Assises ont permis une prise de conscience collégiale de la souffrance dans leur exercice, elles ont galvanisé l’envie de bousculer cet ordre établi de maltraitance des institutions à leur égard : ces Assises leur ont montré que le secteur 3 peut ouvrir une voie pour, d’une part retrouver sa dignité de médecin par la liberté de demander des honoraires justes, et d’autre part rendre sens à sa mission et plaisir à exercer. 

Dès vendredi 13h, devant un amphithéâtre plein à craquer, Jérôme Marty a présenté pourquoi et comment l’UFML-Syndicat a pris l’initiative de ces Assises du déconventionnement, avec une date soigneusement repoussée pour se tenir juste après l’échec annoncé des négociations conventionnelles (négociations qui ont plutôt ressemblé à des non-négociations consistant en une simple présentation par la CNAM des mesures décidées unilatéralement par le cadrage strict du ministre, lui-même aux ordres du président Macron). La fenêtre de tir pour 

retrouver notre liberté et notre dignité de médecins afin de mieux soigner est historique, et pourrait influer dans les mois à venir sur l’avenir du système conventionnel, voire sur l’organisation de la Sécurité sociale. 

Le Dr Patrick Carlioz a enchaîné sur un historique de la convention depuis sa création, éclairant les rôles respectifs de l’État, de l’Assurance maladie et des syndicats. 

Le Dr Didier Legeais nous a brillamment brossé le tableau des inconvénients mais surtout des avantages de sortir du système conventionnel, contribuant certainement à faire tomber certaines hésitations légitimes. 

Le déroulement des réunions des négociations conventionnelles a été résumé par des membres des syndicats participants : l’UFMLS bien sûr avec entre autres, Jérôme Marty et Philippe Pizzuti, la FMF et le SML avec leurs présidentes respectives Corinne Le Sauder et Sophie Bauer, et Philippe Cuq, président d’Avenir Spé-Le Bloc. Assistait également à cette table ronde Christelle Audigier, présidente de l’association Médecins Pour Demain qui avait pu participer aux négociations grâce à l’invitation de l’UFMLS et de la FMF. Tous, largement applaudis, ont témoigné du mépris et de l’absence d’écoute d’un directeur de CNAM avec lequel aucun partenariat n’a pu être possible tant le cadrage est rigide et formaté, sans intervention possible des syndicats pour l’assouplir ou en changer l’orientation. 

Des témoignages de médecins exerçant hors de France se sont ensuite succédé, dont certains en visio grâce à une technologie sans faille : la comparaison des différents exercices en Suisse, au Luxembourg, aux USA, en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Zélande ont fait apparaître les défauts et qualités de chaque système, aussi bien sur le plan du médecin que du malade. Parmi les interventions, on note que le système de santé américain, souvent présenté comme inégalitaire et coûteux pour le malade qui paie son assurance privée, fait malgré tout preuve de sa solidarité envers les patients de plus de 65 ans et les enfants, tous pris en charge intégralement. Franck Chaumeil, qui exerce maintenant en Suisse, a trouvé un grand confort d’exercice : le généraliste bénéficie d’assistantes médicales et d’une facilité diagnostique grâce à la radiologie et la biologie sur place, d’une tarification avantageuse au temps passé et aux actes effectués, et d’un grand respect des citoyens helvètes, en sus d’un revenu bien plus confortable qu’en France. Le système anglais étatisé montre de plus en plus sa faillite dans la prise en charge des Britanniques, malgré tout l’humour de Ben Grall déployé dans son exposé. Les intervenants, tous ovationnés à tour de rôle par les applaudissements, ont répondu aux nombreuses questions de la salle. 

Cette première journée s’est terminée par un buffet animé à tour de rôle par deux orchestres déchaînés entraînant d’emblée les danseurs sur la piste. Ce fut certes une soirée extravagante de divas et de nantis irresponsables, mais quel bonheur de s’autoriser détente et plaisir de se lâcher, et quelle émotion, tous en 

ronde spontanée autour de Jérôme Marty, de recréer le symbole d’une union confraternelle pour défendre les valeurs de notre mission ! 

Le lendemain matin à 8h30, après le buffet du petit déjeuner, on n’a jamais vu autant de monde assis dans un amphithéâtre à l’heure dite, en attente fébrile d’une nouvelle journée pleine des promesses de résurrection de l’exercice libéral grâce au secteur 3 ! 

Valérie Briole, présidente de l’URPS Médecins d’ÃŽle-de-France, a présenté le résultat d’une enquête flash réalisée quelques semaines auparavant sur l’intention des médecins d’ÃŽle-de-France quant à la poursuite de leur exercice : venaient en tête des réponses, le déconventionnement, la prise de retraite, le salariat, le départ à l’étranger ou la reconversion. La poursuite à l’identique n’était vraiment pas majoritaire, émanant probablement de médecins secteur 2 qui, en cas de déconventionnement, ne sont autorisés à revenir dans la convention qu’en secteur1. 

Les juristes et avocats ont ensuite détaillé les avantages et inconvénients d’être conventionné ou non. Les médecins secteur 3 sont toujours soumis au code de déontologie et les honoraires de leurs consultations sont remboursés sur un tarif dit d’autorité (soit à 70% d’une base à 0.61 centimes pour les généralistes et 1.22 euro pour les spécialistes !), leurs prescriptions sont remboursées. Les honoraires doivent être déterminés avec tact et mesure, mais apparemment les seuls cas de jurisprudence sur des sanctions ordinales ne concernent que des médecins conventionnés qui auraient dépassé ce tact et mesure. Maître Douchez a beaucoup marqué la salle en évoquant la différence entre les maigres honoraires conventionnels des médecins libéraux comparativement à ceux de la profession également libérale d’avocat, guidés par la complexité du dossier, le temps passé et la renommée de l’avocat. 

Renaud Miller, médecin généraliste, a ensuite exposé ses démêlés ubuesques avec la caisse suite à sa contestation de la ROSP, sur le principe d’en démontrer les incohérences : les chiffres avancés par la caisse sur lesquelles repose la rémunération sont incomplets, voire faux, voire peut-être même bidouillés ou inventés faute que la caisse puisse les vérifier, et incapable d’avoir les chiffres concernant les enfants, les caisses MSA, MGEN ou autres, imputant au médecin traitant les prescriptions hospitalières, etc. Le combat tenace de Renaud lui a permis d’avoir gain de cause en premier lieu mais la caisse a fait appel et il a été débouté sur des arguments de jugement assez étonnants et contradictoires… 

L’économiste Frédéric Bizard a présenté les causes et conséquences de la faillite actuelle du système de santé français, dégringolant en moins de 30 ans de son piédestal mondial : l’Etat et les instances administratives ont toujours eu une vision uniquement comptable du système et ne sont jamais partis du besoin de la population; préférant réduire l’offre de soin, elles n’ont jamais cherché à adapter 

le modèle économique de la Sécurité Sociale aujourd’hui dépassé malgré l’existence de ressources financières possiblement exploitables. Frédéric Bizard livre son analyse de l’échec des négociations conventionnelles et propose ses solutions de sortie de crise pour un modèle économique vertueux. Il cite Alexis de Tocqueville : « Au XVIIIème siècle, on croit encore que le paysan ne travaillerait point s’il n’était pas constamment aiguillonné par la nécessité : la misère y paraît la seule garantie contre la paresse  » (Extrait de « l’Ancien Régime et la révolution »). Aujourd’hui on pourrait remplacer paysans par médecins libéraux et XVIIIème siècle par XXIème siècle. Des tonnerres d’applaudissements ont salué la fin de sa brillante et magistrale présentation. 

Les complémentaires étaient invitées, mais seule La Médecine Libre est venue. La Mutualité Française avait donné son accord, mais la personne déléguée est inopinément tombée malade ce week-end… La LML a été créée par des médecins : Benjamin Bajer et ses associés ont repris des études pour créer la mutuelle libre (premier nom de leur société qu’ils ont dû débaptiser pour celui de La Médecine Libre), offrant aux professionnels de santé (mais pas que) une mutuelle juste et solidaire, reversant ses cotisations au seul remboursement des soins, avec des frais de gestion décents. Malheureusement, les complémentaires ont été très favorisées sous Hollande : tout en maintenant le même montant de cotisations, elles n’ont plus été autorisées à rembourser au-delà de deux fois le plafond sécu des honoraires des médecins (mais elles peuvent rembourser ceux des médecines parallèles !), elles amasseraient chaque année 40 milliards d’euros (sans obligation de publier leurs comptes) qu’elles peuvent réinvestir par exemple dans des stades ou des bateaux (au lieu de payer les soins à leur juste valeur…) La LML a dû s’adapter et a offert à ses adhérents des consultations de prévention (non tarifées à la convention) afin de permettre une possibilité de rembourser leurs adhérents qui consultent un médecin secteur 3. 

Après le buffet déjeunatoire, est venu le moment très fort des témoignages des médecins exerçant déjà hors convention : 

Bruno, généraliste, s’est installé dans les Deux-Sèvres après avoir exercé à l’étranger, son rythme de travail et ses revenus actuels ont étonné l’auditoire en faisant probablement des milliers d’envieux. 

Paule-Annick, après une carrière épuisante d’ophtalmologie secteur 1, a tellement retrouvé le plaisir d’exercer qu’elle n’a même plus envie de prendre sa retraite. Antoine, rhumatologue et Pascal, médecin du sport ont témoigné également de leur bonheur à travailler de façon sereine et efficace grâce au secteur 3. 

Jean-Marc a exposé, avec un talent d’humoriste né, son entretien avec la CPAM lors de son projet d’installation en tant que médecin du sport : spécialité non reconnue, certificats de sport non remboursés, il a décidé d’emblée d’opter pour le secteur 3, au grand dam de la DAM qui lui a prédit qu’il allait crever la dalle. Prédiction non réalisée, il s’éclate dans son métier et en vit très bien car « les patients ne viennent pas nous consulter pour des remboursements, mais parce qu’ils sont malades  » ! 

Quant au témoignage de Caroline, gynécologue médicale, il a tiré les larmes d’un grand nombre de consoeurs et probablement confrères, tant elle a raconté avec authenticité, émotion et enthousiasme son parcours d’attachée hospitalière à praticienne de ville secteur 1 puis déconventionnée, décrivant toutes les embûches de la convention, sa nomenclature illogique, le peu de rentabilité au tarif conventionnel de l’investissement financier pour un cabinet aux normes avec du matériel, un confort d’exercice, et une expertise de haute qualité. 

On se dit que la France a une grande chance d’avoir de tels médecins, qu’elle les honore serait la moindre des choses ! Tous ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu aussi souvent dire « Merci Docteur » depuis leur déconventionnement. Le secteur 3 rend la fierté d’être médecin, d’être fier de la valeur de son travail sans souffrir de ne pas avoir les moyens et le temps de bien prendre en charge ses patients, sans s’épuiser et en se faisant respecter et honorer même des plus modestes. Tous ont souligné que les plus pauvres bénéficiaient de la gratuité de leurs actes s’ils étaient justifiés, à l’image du généraliste qui n’hésitait pas à visiter ses malades en fin de vie sans demander d’honoraires. Les médecins ne sont pas responsables de la solvabilité des patients, c’est à l’assurance maladie d’assurer leur solvabilité et de favoriser leur accès au soin : le C à 50 euros coûterait 5 milliards par an pour avoir demain de très nombreuses installations de jeunes médecins que les conditions actuelles font fuir, et selon l’OCDE et l’OMS, la France devrait mettre chaque année 29 milliards de plus dans son budget santé pour les soins primaires ! Il a par ailleurs été rappelé à juste titre que le terme  »dépassement d’honoraires » était à bannir, les médecins libéraux se font honorer à une juste valeur qui ne doit pas être une variable d’ajustement des comptes de la Sécu. 

La fin des Assises a signé le début de la collecte des promesses de déconventionnement, dont la procédure a été expliquée par Jérôme Marty qui a clôturé la journée sous une ovation prolongée incroyable de la salle. Les réactions dithyrambiques des médecins sur les réseaux sociaux tout comme la queue devant l’urne qui, ce soir-là, n’a pas pu contenir toutes les promesses des présents (mais le dépôt se poursuivra et se confirmera en ligne dès le lundi 6 mars) ont prouvé que nous sommes nombreux à relever la tête, à nous dire que l’on ne doit pas souffrir pour ce métier magnifique, que nous ne devons plus laisser dévaloriser nos diplômes et notre expertise, que nous devons dire stop à la maltraitance institutionnelle inefficace pour le soin et aux injonctions contraires au statut libéral et à notre déontologie, que nous avons le droit d’être fiers de rester des médecins qui placent au-dessus de tout la qualité du soin, l’éthique et l’indépendance, valeurs socles de l’UFML-Syndicat. 

Docteur Isabelle Luck 

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